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10/11/2013

Grandes réflexions sur des petits blancs

975771-1156417.jpgJ'aime les petits blancs, surtout à l'apéro. Bien fruités. Quelle déception de ne pas trouver une seule fois mention de ce type de boutade dans le livre d'Aymeric Patricot. Je plaisante, bien sûr, car une bouffée de rire libérateur est essentielle avant une plongée en panée dans un univers noir de noir. Chez les petits blancs. Ceux de la France d'en bas, dit le sous-titre en couverture. 

J'avais lu du même auteur le très beau, car très juste, Autoportrait du professeur en territoire difficile, où l'auteur racontait sa vie de prof de lettres en ZEP. De prof de lettres blanc dans des classes très colorées. Une langue d'une justesse remarquable et un ton toujours distancié sans être froid. On retrouve ces qualités précieuses dans le nouvel opus. 

On connaît la sentence de Camus, "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde". Une exigence particulièrement nécessaire dans le cas des enquêtes portant sur les sujets sensibles des rapports sociaux. Rien de plus vomitif que la langue pleine de clichés d'un Rioufol ou d'un Zemmour qui perdent toute crédibilité avec une surenchère verbale et catastrophiste. Les quartiers populaires sont ainsi des "zones de non droits" ou "la mort rôde, tenus par des caïds" etc etc... Mais dans le même temps, les écrivains et autres artistes plein de bons sentiments qui encensent la pauvreté par mauvaise conscience de leur propre situation sont aussi ridicules et desservent la cause qu'ils défendent. Patricot, lui, dépeint la violence sociale et morale sans pathos ni mensonge enjoué. 

Le livre est un OVNI scientifique. Ni édito libre, ni véritable étude sociologique, il se présente comme un recueil de fragments de vies, de vies brisées ou amères de ne pas être ce qu'elles pourraient être. Et où la couleur de peau joue un rôle dans cette amertume, en plus ou à côté de la condition sociale. A cause de ces péchés originels formels, le livre est attaqué par les scientifiques doctes qui ne voient pas d'échantillonage crédible. Il est évidemment accusé par les belles âmes de faire le jeu du Front National (cette expression...) et par les purs de chez purs de dévier le problème social qui, seul, explique tous les maux. Je ne me situe dans aucune de ces catégories. Je ne comprends pas les détracteurs d'un livre à la force tranquille, aussi douce que le sujet est âpre.

Patricot raconte des gueules cassées, humiliées parfois, mais pas haineuse. Personne n'appelle au meurtre des noirs et des arabes, mais hurle le fait de ne jamais être entendu. Les témoignages ruraux sont parmi les plus émouvants. Les jeunes ne sortent pas car il n'y a rien, pas d'offre culturelle ou de programme spéciaux quand il y en a beaucoup dans les quartiers populaires. Christophe Guilluy montre cela dans "Fractures françaises" sur les inégalités d'investissements folles. Une analyse corroborée par Laurent Davezies dans "la crise qui vient" où l'auteur montre que les quartiers périphériques bénéficient des investissements colossaux des métropoles. Même si cela reste insuffisant, impossible de dire qu'il n'y a rien. D'autres témoignages sont violents, non pour le malaise social, mais le gouffre culturel qui séparent ces petits blancs des autres. Ceux qui n'aiment pas le rap et font semblant, ce garçon fluet qui rêve d'aborder une fille black mais explique que ça ne marchera jamais car elles projettent toutes des envies de mecs musculeux comme dans les clips de rap. Ces deux écorchés vifs de la Beauce, qui voudraient être intellos mais n'ont pas passés leurs examens de sociologie car ils ne voyaient pas l'intérêt. Leur histoire m'a ému aux larmes. Ils vomissent leur haine des "bouseux" autour de chez eux et vont à Paris où ils ne maîtrisent pas les codes et s'aventurent vers les quartiers qu'ils imaginent pour eux, plus bohèmes. Ne pas être adoptés d'emblée, ne pas ressentir de fraternité artistique les irritent et ils font des conneries. 

Il y a encore ce témoignage d'une fille qui dit que sa famille a toujours refusé les HLM auxquels ils avaient le droit "car être logé par l'Etat c'est pire que tout. C'est bon pour les bougnoules". Gloups. Il y a ce jeune homme à la licence de marketing qui préfère vivre de RSA plutôt que de bosser. Même plus amer "on peut vivre ici. Pas dans les zincs mais avec de l'alcool low cost où on finit à poil. Le corps exulte. Si on fait un coma et qu'on a tout oublié, c'est parfait, ça veut dire qu'on s'est vraiment lâché". Re gloups.

On referme le livre en ayant envie d'écraser un parpaing sur le prochain politique qui vient vanter le "vivre-ensemble" en méprisant toute une culture populaire traditionnelle, celle de ces petits blancs à qui personne ne parle et qui se sentent humiliés. L'une des personnes qui a bien voulu répondre à Patricot dit cela aussi. Elle n'a plus de haine, mais veut aller en Australie. Là où on ne la jugera pas. Merci à ce livre d'avoir donné la parole à ceux que personne n'écoute, mais qui disent si bien le besoin d'égalité réelle. 

 

Commentaires

Bonjour
merci pour votre beau billet. Je suis curieux de nature : vous avez vraiment perçu des attaques de la part de "scientifiques doctes" à propos d'échantillonnages ?... :)

Écrit par : aymeric p | 12/11/2013

(à propos de la blagounette, c'est vrai que j'aurais pu la placer à un moment ou à un autre... Avec la référence au FN, le second réflexe de ceux qui réagissent au livre est celle-ci ! :) )

Écrit par : aymeric | 12/11/2013

J'ai cru lire ça, ça et là sur des commentaires... Pas une voix de cathédrale pour décridibiliser le travail. De toutes façons, vous vous exprimez très bien sur la démarche en elle même.

Écrit par : Castor | 12/11/2013

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