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15/03/2015

L'insécure cultureux

bouvet.jpgOn est jamais déçu avec Laurent Bouvet. Il y a chez ce politiste une constance dans le filandreux, une capacité à prendre ses propres maux pour des réalités nationales assez délectables si on les prend au second degré, mais assez déplorable en termes d'idées. Heureusement, à part Brice Couturier sur France Culture et son cercle de thuriféraires de la Gauche Populaire, plus personne ne prend Laurent Bouvet pour un penseur. Et sûrement pas un penseur de gauche. 

Un peu d'histoire personnelle s'impose. De même que la haine des élites chez Eric Zemmour s'explique en grande partie par son double échec à l'ENA, la haine du progressisme chez Laurent Bouvet peut s'entendre par le fait qu'il fut évincé (selon lui) par les règles paritaires pour les législatives de 2002. Alors, le brillant (selon lui, toujours) directeur des études du PS n'avait pas obtenu son investiture électorale et en avait tiré une tribune mémorable. Mémorable au sens où j'ai rarement lu quelque chose d'aussi déplorable (lire à ce propos l'article de Libé, à l'époque). Où comment ériger sa propre médiocrité en dogme, ne pas se poser les bonnes questions sur sa prestation et estimer qu'on a été écarté par "des meufs et des arabes". Bah voyons... Sauf que chez Bouvet, cela vire à l'obsession et depuis 15 ans il n'a cesse de nous expliquer que cela vaut pour tout le pays : la gauche va dans le mur à force de promouvoir la diversité et la parité. Il le réexplique dans son dernier essai, hilarante (involontairement) radioscopie de la gauche au pouvoir. Vous avez aimé "mon curé chez les nudistes" ? Vous adorerez "mon facho chez les socialos". 

Dans l'insécurité culturelle, il y a 5 lignes brillantes, mais c'est une citation de Régis Debray sur la frontière... Sinon, le petit Bouvet fonde la majorité de son analyse sur... des sondages. Bravo la science ! Il trouve des sondages disant que les musulmans de gauche n'aiment pas la politique actuelle, n'aiment pas les lois progressistes du mariage pour tous et Bouvet en conclut que le progressisme est une impasse. Il écrit dans ce que je peine à qualifier d'analyser des choses comme "la promotion de la diversité n'est pas une défense de l'égalité" et on revient au problème précédent... Cher Laurent, s'il faut prendre le taureau par les cornes, c'est que des discriminations viennent se sédimenter sur des inégalités déjà fortes et que ça crispe toute la société. Le nier comme vous le faites, c'est s'enfoncer dans un aveuglement coupable. On peut aussi lire "le multiculturalisme n'est pas une politique" et si on ne peut qu'abonder, on se pince en revanche à l'idée que ceci concerne la France : où sommes nous lancés dans une apologie du multiculralisme ? Quels faits concrets plaident pour cela ? Mystère... 

Le reste de la thèse de Bouvet c'est donc qu'on a oublié de protéger le bon peuple de gauche, le laissant filer au FN. Non pas par défaite économique (la production, le partage, les inégalités, sont des sujets qui intéressent assez peu Bouvet, en fait... On ne trouve pas de chiffre dans son livre qui ne soit autre chose que des sondages ou des résultats électoraux. Chacun son truc) mais par "sentiment d'insécurité culturelle". Voilà d'après l'auteur notre relâchement coupable à tous : nous avons laissé le bon peuple s'enfoncer, non pas dans une crise économique, mais dans une crise culturelle. D'une, il oublie que les populations récemment immigrés, reléguées dans les banlieues (il dit qu'on en fait trop pour eux et pas assez pour le péri-urbain, digérant mal les thèses de Guilluy) vivent avec violence cette même insécurité culturelle doublée d'une insécurité économique manifeste. De deux, il nie que l'insécurité qu'il qualifie de culturelle est en réalité économique : c'est une modernité liquide où les barrières sont floues et profite aux gagnants de la mondialisation. C'est la seule jolie phrase du livre et il l'attribue à Debray, sans voir que ce dernier l'a gentiment emprunté au maître : Zygmunt Bauman. L'auteur de "la modernité liquide", "la vie liquide" et autres livres où il ne confond pas causes et conséquences, mécanismes de domination et tentatives de compensation. Bref, pour comprendre l'insécurité culturelle, il faut lire Bauman et laisser Laurent Bouvet résoudre ses propres turpitudes d'insécurité culturelle, car à l'évidence le pauvre garçon voit bien qu'il est à la ramasse dans le débat à gauche et ça le rend malade, mais pas encore au point de faire son coming out frontiste, alors même que son dernier livre en a toutes les idées.