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31/07/2015

Mémé, ce succès moisi

d8ya[1].jpgC'est toujours étonnant, les livres dont les voyageurs se séparent. Quand vous arrivez dans un hôtel qui comporte un petit point pour déposer les livres dont vous ne voulez plus, votre imagination s'envole. Dans le petit paradis sur terre brésilienne où nous sommes, je me demande qui sont ces voyageurs qui ont laissé un livre de Luc Ferry pour propager la honte philosophique hors de nos frontières. Mais aussi ceux qui ont laissé des chefs d'œuvre de Truman Capote (en anglais) et Modiano (en espagnol) que j'avais déjà lu. Et puis, je ne sais pourquoi, mon œil fut happé par le livre de Philippe Torreton, "Mémé". Un énorme succès de librairie de l'année passée. Enorme. J'aime bien comprendre, donc je l'ai lu. Après un bain de piscine. Le temps de sécher parfaitement, l'opuscule est achevé. Le lecteur aussi.

Ne soyons pas bêtement méchant. Torreton est venu au théâtre par le texte, cela s'entend dans son premier grand rôle, "Capitaine Conan" et il met du cœur à l'ouvrage pour le sien. Si l'écriture comprend des tas de facilités, de clichés et autres raccourcis, nul ne peut contester à l'auteur d'avoir voulu rendre un hommage élégant à sa Mémé. C'est d'ailleurs pour cela qu'on le lit si vite, ça n'est pas désagréable au fond. Cette accumulation de phrases toutes faites pour un retour sur une enfance qui fut celle de nombreux français, ceux qui sont arrivés depuis suffisamment de génération pour avoir une aïeule implanté dans un même village toute sa vie. On s'y reconnaît dans certains jeux d'enfance, certains rituels ou moyens de passer le temps. Pour le reste, je pourrais le dire de bien des façons, mais je préfère sans doute la ligne droite : qu'est ce que c'est con.

Alors voilà, Mémé elle ne consomme pas trop. Pas de ça chez elle. Elle déguste tout en juste quantité même les infos sur RTL ou son canard local. Elle connaît la valeur des choses et la vraie vie. La bouffe. Elle sait faire les choses elles mêmes sans avoir besoin de s'emballer pour un appareil électronique qu'elle serait bien en mal de recréer. Elle n'a jamais voyagé ou prix de vacances mais elle a élevé de beaux enfants....

Comprenons nous bien, je n'en veux pas à monsieur Torreton d'user de sa notoriété pour faire publier un texte qui aurait été jeté par 99% d'éditeurs. Après tout, ça n'est pas mal écrit et sans doute moins indigne que les concessions de tonnes de crétins qui hantent les librairies. Je ne lui en veux pas non plus d'avoir abusé des tournures lacrymales, après tout il aimait sa grand mère et si les deux miennes n'étaient pas mortes avant que j'atteigne 10 ans, peut être l'aurais je imité. Non, cher Philippe, sachez-le, je ne vous en veux de rien.

Ce qui m'ennuie ce sont les 120 000 exemplaires écoulés ; cette fascination pour le "c'était mieux avant", "on avait le sens des vraies valeurs et on ne polluait pas" qui compose la moitié du bouquin. Torreton sait-il que sa Mémé aurait du demander à son défunt mari la possibilité d'avoir un compte en banque ? Que dans ses merveilleuses campagnes avec de merveilleux instituteurs, on s'emmerdait ferme ? Que pour un Torreton qui a chopé le virus de Molière, tous les autres ne pouvaient rêver à rien d'autre qu'à la ferme (amusante homonymie, tiens...) ? Bref, ça n'était guère mieux et tout ceux qui s'époumonent à nous le faire croire, de Zemmour à Torreton, encouragent la colère des jeunes et les pousse à voter comme des cons, quand ils votent. Est-ce un crime d'être né après 1990 ? Non, ils n'y sont pour rien et le récit de leurs lendemains qui chanteront est plus urgent à écrire que la réécriture potemkinienne d'une vie un peu chiante. Pardon Madame Mémé...