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01/09/2016

La folie collective de faire de l'Educ Nat notre pinata

pinata_ane.jpgOn peut y déceler un symptôme de l'époque : pour la rentrée des classes, France Inter a reçu Céline Alvarez, nouvelle grande pythie des pédagogies alternatives fondées sur la bienveillance. Je ne voudrais surtout pas me moquer, j'ai déjà partagé une estrade avec elle et elle dit des choses fort sensées, fort percutantes et démontrées. L'histoire est connue, elle a mené une expérimentation à Gennevilliers, pendant 3 ans et a obtenu des résultats spectaculaires, inouïs, avec des gamins qui ont découvert la volonté d'apprendre, l'aisance scolaire. Bravo. Vraiment. 

Le hic, c'est quand on gratte et qu'on écoute les fans de Madame Alvarez. Car elle dispose d'une armée de fans, inconditionnels et absolus, comme Mylène Farmer. Son livre fait déjà un carton en librairie et toutes ses conférences publiques rassemblent des centaines, voir des milliers de personnes qui psalmodient et attendent la bonne parole pour savoir, enfin, comment enseigner, comment éduquer, comment faire en sorte que ce crétin de rejeton trouve un autre sens à la vie que ces putains de Pokémon... Alvarez elle même est dépassée par l'engouement qu'elle suscite : interrogée ce matin sur l'apathie politique (présumée) en matière d'éducation elle est la première à dire qu'il est impossible de changer de pédagogie du jour au lendemain pour les 12,3 millions d'élèves accueillis par l'éducation nationale. Pousser davantage les expérimentations, donner davantage d'autonomie à ceux qui le veulent/peuvent, comme cette maire qui a sauvé son école rurale en la convertissant à Montessori, ce qui a permis l'arrivée de familles de communes voisines attirées par cette offre, très bien. Mais en faire l'alpha et l'omega est une hérésie pure et, au fond, un caprice d'adolescent.

L'attente démesurée d'une "nouvelle voix éducative", la haine actuelle de l'école commune me fait froid dans le dos...C'est un nouveau populisme qui grossit à vue d'oeil et l'on ne fait rien pour le stopper car c'est un populisme acceptable. Il y a une jubilation commune à taper sur l'Education Nationale comme les mômes sur une pinata lors des fêtes d'anniversaire... Les manifestations de cette haine sont très hétérogènes : aspiration à des pédagogies alternatives types Montessori, communication non violente et mindfullness pour tous ou au contraire retour à des pédagogies traditionnelles où l'on peut lire/écrire/compter. Regardez les succès de librairie : un crétin réac à souhait et facho comme pas deux comme Jean Paul Brighelli enregistre des ventes à six chiffres pour des ouvrages où il explique qu'il faut bannir l'ordinateur des salles de classe et revenir au par coeur pour mieux connaître notre histoire commune... Et ce benêt est le conseiller éducation de Nicolas Dupont Aignan quand il ne distille pas ses précieux avis à Marine le Pen. Nous voilà bien...

La critique repose sur une seule lame de fond : l'école est responsable de tout. Il y a cent fois plus de surdoués incompris depuis quinze ans, de génies ignorés par l'éducation nationale... Ca n'a rien de nouveau et je ne peux pas dire par expérience personnelle que tous les profs m'avaient bien percé à jour, mais je ne prends pas mon cas pour une généralité et surtout j'évite d'en tirer un ressentiment stérile. Les parents d'élèves aiment poursuivre d'une colère facile l'école, ce bouc émissaire si commode car il ne peut se défendre : elle ne sait pas enseigner les langues, oriente mal, n'apprend pas "les vraies voix de la réussite" et ainsi de suite... Et toi, petit parent d'élève cracheur, tu as cherché à écouté ton môme où tu l'as forcé à aller vers des voies tracées et élitistes ? Non, juste pour savoir... Faut être deux, pour réussir les jeux de massacre et celui qui a commencé n'est pas toujours celui qu'on croit. 

Défoncer l'école est devenu une facilité qui nous dispense de voir ce qui déconne chez nous. Attention, hein, je ne mets l'Education Nationale sur un piédestal immaculé, ne la pare pas de toutes les vertus, mais je m'interroge sur les raisons pour lesquelles on l'accable aujourd'hui. Quand la France dégringole joyeusement dans les classements PISA, quand nous avons une part croissante de mômes qui ne maîtrisent pas les savoirs élémentaires en arrivant en 6ème, est-ce seulement par nullité crasse de notre école publique ? Je ne crois pas. Je ne dis pas qu'un surcroît de moyens changeraient tout, mais tout de même. Les inégalités scolaires sont aussi corrélées à des inégalités de moyens folles et l'on peut savoir gré à ce quinquennat d'y avoir en partie remédié en mettant plus de moyens humains dans les quartiers ZUS comme dans les zones dépeuplées. Les résultats seront visibles dans 10 ans, on ne pensera pas à décerner les lauriers au gouvernement actuel, tant pis. Notre incapacité à voir ça nous pousse vers des solutions de panique sur le Titanic : le soutien scolaire privé explose, les listes d'attentes pour inscriptions dans des établissements privés, explosent. Officiellement illégal, l'enseignement à domicile explose aussi. Une enquête du Monde parlait de 60 000 enfants par an qui suivaient une scolarité à domicile auprès de parents qui se relayent. Une conception très poussée du chacun pour soi qui ne peut guère mener ailleurs que dans le mur.

L'adage populaire explique que "quand le bâtiment va tout va" voyant dans le signe des constructions une confiance dans l'économie et l'avenir. Mais notre vrai avenir commun se trouve dans les salles de classe. C'est sans doute plus exigeant, moins lisible, plus incertain, mais la réalité c'est que "quand dans la cour d'école va, tout va". Regardons là-bas et au lieu de déserter la cour, cherchons plutôt à y ramener les sourires.