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30/07/2022

Mesurer les performances réelles

30 ans après, il serait vraiment d'utilité publique qu'on publie une version actualisée du "culte de la performance". Dans ce classique de 1991, Alain Ehrenberg montre comment la quête de la performance mène aux pires dévoiements, que ça soit en politique, dans le sport ou les affaires. Coup de pot, une personnalité d'alors lui permet de montrer la triple arnaque : Bernard Tapie. Élections truquées, dopage et corruption dans son équipe cycliste comme avec l'OM et des pyramides de Ponzi et de la fraude à tous les étages dans ses affaires. A sa mort, l'an dernier, il fut pourtant encore présentée comme un "capitaine d'industrie" un flamboyant meneur d'hommes dans le sport... Un tricheur, un fraudeur à répétition qui a coûté la bagatelle de 400 millions au fisc pour la partie émergé de l'iceberg et il se trouve toujours des imbéciles pour louer son bilan.

30 ans après, rien n'a changé, sauf les ordres de grandeur. Les nouveaux escrocs de la finance, du luxe, du pétrole, volent en dizaines de milliards contrairement à ce petit bras de Tapie. Et en souriant et sous nos yeux. Total et ses 17,7 milliards de bénéfices, avec 25% de leur résultats en France ne payent pas un euro d'impôt à Bercy et ils ont réussi à éviter la taxe sur les super profits. Spaggiari et Mesrine étaient moins forts, niveau braquage. On continue de parler de "nos champions aux performances exceptionnelles". Et effectivement, ils font gonfler le PIB de la France, mais pas des français, seulement des familles d'actionnaires et des PDG de ces boîtes. Mais ne comptez pas sur un pouvoir élu en 2017 sur la promesse que le ruissellement fonctionnait pour les détromper. Malgré des notes précises, chirurgicales, fouillées, disant toutes que non la suppression de l'ISF, la flat tax et autres n'ont pas profité aux masses, ils continuent et veulent accélérer en défiscalisant l'héritage. Et ils se sentent légitimes pour le faire puisque, après tout, ils ont plus de voix que les autres au soir du second tour de la présidentielle et qu'ils restent le premier parti de France à l'Assemblée.

Le troisième pan du tableau, c'est le sport. Là aussi, on a beaucoup progressé. Les fausses vessies pour pisser propre de Tapie ont été remplacées par du sang enrichi, des hormones de synthèses et autres injections indétectables. D'où l'absence de contrôle sur Pogacar, Vingegraad et leurs équipiers. Il ne fait pourtant aucun doute qu'ils sont chargés à mort. Mais alors aucun, 100% sûr (voir lien en com'). Armstrong a fini par tomber, ses 7 tours de France gagnés effacés (remarquable série de "mécanique du journalisme" de France Culture sur le sujet montrant l'implication de Georges Bush pour sauver le cycliste). L'omerta se brise parfois, dans le sport. Elle est brisée dans les affaires et en politique. Grâce aux lanceur.euses d'alerte et leur courage, tous les Leaks, tous les papiers sont là pour montrer que nous nous prosternons devant des tigres en papier. Les mettre au pas ne créerait pas de millions de chômeurs, ne ruinerait pas la France. Dans le cas de Total, les 18 milliards devraient être réquisitionnés d'office. Car qu'en font ils ? Ils enrichissent leurs actionnaires qui ont été plus que servi et ils investissent dans de nouveaux projets écocidaires. En petit malins, ils montrent leurs investissement en centaines de millions d'euros dans les renouvelables, mais à côté de ça, il va investir 10 milliards en Ouganda pour un projet crade de crade. Ces fous ne s'arrêteront jamais, il faut leur couper le robinet financier et leur rendre la vie impossible pour qu'ils arrêtent de rendre la planète invivable. D'autant que ça n'apparaît jamais dans leur rapport de performance... 

24/07/2022

Paris, entre craquèlement et dislocation

J'ai toujours aimé Paris l'été, hors canicules. Le temps ralentit, les trottoirs sont moins bondés, on peut trouver une place en terrasse sans se battre ou aller voir une expo sur un coup de tête sans attendre. Depuis que je suis père, j'aime aussi que les parcs ne ressemblent plus au métro japonais à heure de pointe. Depuis 2020, les étés ne sont plus les mêmes. La violence de la crise sociale liée au Covid a exacerbé les étés dans la capitale. Les parisiens aisés fuient dès qu'ils peuvent, partant pour des vacances à rallonge avec sans doute 15 jours de télétravail pied dans l'eau. Et le vide laisse voir un nombre de plus en plus important de personnes à la rue, elles mêmes dans un état de santé de plus en plus précaire. 

Je ne suis pas près d'oublier le 10 mai 2020, quand j'étais revenu de deux mois de confinement à Montrouge la tranquille pour retrouver mon 10è arrondissement. Difficile de voir un bobostan dans l'espace apocalyptique de ces rues, toujours désertées par les riverains, mais arpentées en zigzaguant par des pauvres hères qui avaient connu peu d'aumônes, en deux mois. Bien que me promenant en poussette avec un bébé dedans, je m'étais fait interpellé six ou sept fois en une heure de temps, insulter aussi et presque menacé par des personnes à bout, qui pestaient contre le fait que je ne leur donne pas d'argent. J'ai presque retrouvé cette ambiance, hier, en emmenant ma fille dans un parc de notre nouveau quartier, en quête d'un toboggan. Nous dûmes tourner talons. Il y avait bien un toboggan, mais pas un enfant. Seulement une vingtaine de SDF dormant sur les bancs avec des amas de détritus à leurs pieds. La ville lumière a du plomb dans l'aile. 

C'est d'autant plus révoltant que Paris se vide : les parents trouvent des places en crèche car la mairie en a créé beaucoup et les demandes sont en chute libre. En primaire, c'est plus coton, attention à ne pas être en classe surchargée à cause de fermetures des autres, comme en milieu rural. Les bureaux sont abandonnés. Bref, de la place pour accueillir toute la misère des parcs, il y a. 

A côté de cela, tous les usagers de transports en commun constatent une surchauffe inédite. Pas un temps d'attente un peu plus long, comme tous les étés, mais des "incidents voyageurs" trop nombreux pour être honnêtes, toutes les lignes avec 10 minutes entre deux métros, hors lignes automatisées. Et cette situation est une aimable galéjade par rapport aux absences de bus. Je voyais très fréquemment, aux abris bus, cette mention réservée aux jours de manif "prochain bus dans plus de 60 minutes". Cela se répétait tant, sur tant de lignes différentes, que ça n'était ni un hasard, ni la faute à pas de chance, mais le manque de chauffeurs. Comme toujours, la pensée magique du numérique, la société du "sans" nous éloigne des réalités physiques. Tout est sans contact, sans frais de livraisons, sans attente, et par magie, les choses arrivent. Il y a des soutiers derrière la magie. Et ils n'ont pas envie de trimer pour un salaire pareil. La grande démission touche aussi les transports, une mission de service du public. Le recours aux intérimaires est encore plus voyant que dans d'autres services publics : quand ils ne sont plus là, on ne peut pas maquiller la misère. 

À la rentrée, Paris se sera sans doute maquillée de nouveau pour cacher ces tares peu compatibles avec son récit de ville lumière. Mais cela n'enlèvera rien à la hideur que nous pourrions résoudre. 

21/07/2022

Décélération ou barbarie

Il y a quelques années, Reed Hastings, le patron de Netflix, affirmait goguenard "je n'ai qu'un concurrent : le sommeil".  Cette citation je l'ai découverte dans un livre majeur de Johnatan Crary, "24/7. Le capitalisme à l'assaut du sommeil". Et au fond, alors que nos politiques s'éveillent enfin, le pistolet sur la tempe, à l'impérieuse sobriété, on se dit que le plus indolore avant d'aborder les choix qui fâchent, c'est de décélérer. D'interdire les iconiques "7/11" et autres magasins ouverts beaucoup trop tôt, fermés beaucoup trop tard, toutes lumières, clim ou chauffage à fond. Ce pour des miettes de ce qu'ils appellent "croissance", et encore, à condition de sous payer les femmes et les hommes qui turbinent à l'heure du laitier et à celle des ivrognes. 

Nous nous rendons même plus compte de l'indécence de ces "services" en continu, tant le "bénéfice consommateur" est devenu plus qu'un mantra, un dogme. Feu sur les hérétiques qui osent contester les bienfaits des livraisons nocturnes, de l'ouverture généralisée le dimanche.... Dans une émission de Quotidien, il y a peu, Yann Barthès et ses chroniqueurs, hilares, de se moquer des villes où il fait nuit à 22h. Ces villes sont pourtant pionnières en matière de sobriété. On ne parle d'éteindre des rues réellement passantes, l'éclairage urbain reste un progrès et il faut être un homme pour ne pas comprendre ce que l'obscurité relative des gares et des quais peut avoir d'angoissant. Bien sûr. Il n'empêche. Emmanuel Macron ayant réanimé le Commissariat au plan, ce dernier a là une excellente feuille de route à fournir : décélération, qui, quand, comment ? Et l'on verra qu'enlever tout le superfétatoire, les besoins artificiels dont parle Razmig Keucheyan, c'est autrement plus efficace que "des petits gestes".