30/08/2022
Et l'adaptation, alors ?
En 2019, la philosophe Barbara Stiegler jusque là discrète spécialiste de Nietzsche, se révèle au grand public avec son essai "il faut s'adapter, sur un nouvel impératif politique". Son livre montre comment, depuis le colloque Lippmann de 1938, les néolibéraux tentent d'imposer leurs idées. Sans succès aucun pendant la guerre froide dure et avec un triomphe total depuis les années 80. Alors, chaque réforme économique est marquée du sceau de l'adaptation.
La mondialisation se traduit d'abord de façon très rapide par des délocalisations massives, l'atelier du monde se transférant en Asie. Aux travailleur.euses sur le carreau du jour au lendemain, on explique qu'il faut s'adapter, être mobile, se former aux nouvelles techniques, aux nouveaux business. Ceci, évidemment avec un accompagnement financier et humain des plus minimes. L'adaptation exigée est très darwinienne et la figure du naturaliste est souvent brandie de façon tronquée par les financiers pour dire que c'est l'essence humaine que de s'adapter ou mourir...
Et d'ailleurs, souvent, ils meurent. A cause de la dépression, du chômage indépassable survenu du jour au lendemain, des vies brisées par une accélération d'un système beaucoup trop rapide pour eux. Le cas le plus emblématique de cette mutation mortifère est évidemment le changement de France Télécom en Orange. Les milliers de personnes rentrées dans une logique d'emploi à vie, ignorant les notions de clients et de profits, ne connaissant que les usagers et les comptes, à qui l'on incorpore de force la novlangue start upienne, la pression insane et quand le mal être se répand partout le PDG Didier Lombard parlera de "mode des suicides". La même chose se produit dans nombre d'anciennes entreprises de monopole public, dans des fonctions publiques que l'on veut transformer en entreprise (le malaise dans l'éducation nationale, en ce moment, est un peu de cet ordre).
Depuis le Covid, une réaction, salutaire, des salarié.es qui ne savent plus comment gérer ces injonctions à l'adaptation c'est de descendre du train. Big quit, grande désertion, bifurcation. Ils ne cherchent plus à jouer qu'ils savent perdant pour eux et on peut les comprendre, tant ce mantra de "il faut s'adapter" n'a rien d'un humanisme...
Quid des ordonnateurs de l'adaptation ? Morne plaine. Quand il a fallu s'adapter au Covid, les chantres de la libre entreprise et de la haine de l'État a pleuré dans les robes de Bercy n'ayant soudainement plus que les mots "aides" "remboursement" "compensation" à la bouche.... Diantre. Et maintenant que la réalité du dérèglement climatique et de la raréfaction des ressources s'impose à eux à cause de la crise ukrainienne, idem. A l'état de compenser le manque à gagner, de les sauver, de remplacer ce qui ne sera pas gagné.... Les chantres de l'adaptation s'avèrent bien faibles en adaptation : incapables de s'imposer réellement la sobriété du jour au lendemain. Incapables de parler "lutte contre la surproduction", de dire "diminution des ouvertures de magasin", incapables, même, pour les symboles de remiser jets et yachts au garage.... La prochaine fois qu'ils veulent imposer des réformes de l'assurance chômage, des retraites et autres toutes inhumaines en sommant les pauvres hères de "s'adapter", on aimerait que nos grands argentiers se rappellent le ridicule de leur réaction face à l'impératif de sobriété.
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