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17/09/2016

La guerre des âges est moisie

10930774_p.jpgQue c'est pénible de lire, du Figaro à Society, des articles sur les figures de proue de la "Génération Y" qui veulent "renverser la table et donner toute leur place aux jeunes" sans qu'aucun journaliste ne décentre le propos. Tous reprennent le même champ lexical de la guerre générationnelle sans remettre en question la légitimité de cette opposition. Forcément, les vieux patrons et les vieux élus qui s'accrochent à leurs mandats sont les vilains et tous les aspirants contrariés sont les héros du casting. Tu parles d'une intrigue foireuse... 

L'inanité de l'opposition, son caractère factice pour être exact, tient au fait que "les jeunes" n'existent pas. Pas plus "que les vieux"... Une date de naissance peut vous rapprocher pour certaines références culturelles, certaines habitudes de consommations ou manies vestimentaires, mais hormis cela, quoi de commun aux jeunes titulaires d'un bac +5 ou d'une grande école, avec une famille, un réseau et un capital de départ derrière eux, contre d'autres qui ont connu des galères scolaires ou d'orientation et sans ressources familiales ? Rien. Mais alors rien de commun. D'ailleurs, toutes les radiographies parlent soit des uns, soit des autres. Pas "des jeunes". La "France qui galère d'un côté" et "ces jeunes yuppies qui niquent la crise", comme deux pôles si éloignés qu'ils ne tiennent pas dans le cadre de la même photo. Alors on triche, on invente un artifice bien lourdeau avec un joli intitulé qui fait chic. Si possible en le yankeefiant. Gen Y, parce qu'à l'oreille ça fait "why" parce qu'ils posent des questions les jeunes, tu vois, ils sont pas polis les jeunes, tu vois, ils vont te dégager les jeunes, tu vois ? Sauf si tu les mets en avant du magazine que tu les reçois dans ton fonds, que tu les accueilles dans des "conseils du numérique" des "shadows cabinets" et des "young leader society", là ils arrêtent de gueuler, les jeunes. Ils veulent pas du tout renverser la table, juste venir y bouffer. Et à la meilleure possible. La rebellion cesse quand le fumet des truffes arrive.

Et pendant ce temps là, où sont les galériens de la Gen Y ? Disparus de la circulation. Un peu comme les galériens des générations antérieures, ou sont ceux qui vivent avec le minimum vieillesse ? Ou sont ceux à qui l'on a sans cesse repoussé l'âge de la retraite alors qu'ils ne trouvent plus de boulot depuis leur mise à la porte à 56 ans ? Disparu aussi. Le regretté Jack Goody montrait parfaitement dans "le vol de l'histoire" comment nos représentations étaient biaisées par ceux qui écrivent l'histoire qui ont peu connu la colonisation, la domination et autres ignominies. Transposée à la bataille générationnelle, l'analogie peut se poursuivre. La guerre des générations est factice, la seule qui vaille est celle décrite (avec un brin de catastrophisme) par Louis Chauvel : les écarts de patrimoines entre générations qui oblige un rééquilibrage drastique, des mesures radicales. On en parle peu, car cela ne se prête pas au caractère reptilien des médias instantanés. Si l'on tentait de le faire demain, on peut redouter le pire "ces jeunes qui veulent faire les poches des vieux" et autres visions cataclysmiques. C'est pourtant une réalité, héritage principalement de cinquante ans de spéculation immobilière non maîtrisée et d'une imposition sur le patrimoine insuffisante. Ajoutez à cela les effets de réseaux et vous arrivez à des écarts générationnels sans précédents. Cela doit nous pousser à mieux répartir l'égalité des chances par âge, appliquer le principe fondateur de notre fiscalité -la progressivité- pour aborder la "vraie" guerre de générations. Celle qu'on devrait nous raconter. Trop chiante, on lui préfère une guerre des places, sans aucun intérêt dans la mesure où le feuilleton existe depuis une éternité. Au moins...