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02/11/2016

Ego, molto troppo

large41.jpgDepuis quelques jours une violente polémique oppose, par médias interposés, Idriss Aberkane a des détracteurs agacés par l'omniprésence médiatique et les succès en conférences du chercheur en neurosciences. D'ailleurs, est-il chercheur ? C'est là le début de la polémique. Dans un très long billet (ici), admirablement détaillé, un chercheur pur qui ne prétend à rien d'autre, montre que le CV d'Aberkane est plus gonflé qu'un visage Bogdanov. Un stage maquillé en post doctorat, une summer school passée en poste à l'étranger, un jury de doctorat de lettres présidé par un informaticien, la liste est très longue de tous les mensonges sur le CV d'Aberkane en ligne. Lequel, chantre de la connaissance a subitement fait fermer sa page Wikipedia, mais des petits malins avaient réalisé une capture d'écran avant pour montrer l'ampleur de l'enfumage.

Cela disqualifie-t-il pour autant l'intelligence d'Aberkane ? L'éloquence, la facilité, l'érudition du garçon ou encore l'intérêt de ses conférences sont-elles invalidées ? Fichtre non. Ce que dit juste le billet, chirurgicalement, c'est que le vulgarisateur de génie qu'est Aberkane ne se contente pas de ce qu'il est et la grenouille veut se faire plus grosse que le boeuf. Il joue sur l'empathie de la foule qui va l'écouter dans les conférences TED, sur sa gouaille et sa faconde pour dire à ses détracteurs qu'il a raison quand même. Et enfumer. D'ailleurs, quand il répond à ses contradicteurs, il répond consciencieusement et volontairement à côté des accusations. Volontairement : se taire, c'est alimenter les doutes, répondre c'est prouver son innocence, alors il gueule sur d'autres procès et on finit par oublier la question première. Bref, le cas est réglé, le type est intelligent, mais a voulu en faire trop et par hubris était certain de tout maîtriser. Ca n'a rien de neuf.  

C'est Emmanuel Macron qui prétend avoir été l'assistant de Ricoeur quand il a rangé ses notes, c'est Laurent Wauquiez qui voulait être le meilleur ami de Soeur Emmanuelle quand il l'a croisé une fois au Caire, c'est Attali qui prétend avoir été à l'origine de toutes les grandes innovations depuis la roue, c'est Alain Minc qui avance que les présidents se font et défont dans son bureau... Les exemples sont légions. Ce qui est amusant, c'est qu'à une époque où les outils de fact checking, où les informations sont plus simples à aller chercher et où la transparence est de plus en plus érigée en vertu, certains croient encore pouvoir berner tout le monde sur des faits. Une conception de l'histoire, c'est une chose, on peut se faire plus beau qu'on ne fut. Dans une négociation, une vente, une élection, on peut se conférer un rôle plus important que celui qu'on eut, la part de subjectivité est grande. Mais des diplômes, des brevets, des présence sur le terrain, des expériences. Franchement ! 

En la matière, je crois qu'il s'agit d'une accumulation de petits accommodements avec la vérité : vous commencez petit et quand ça passe, vous grossissez le mensonge. Le hic vient que vous arrivez à vous convaincre vous même. Un exemple minuscule, au hasard : on m'a récemment encouragé à me présenter dans des tribunes ou des biographies de conférences en tant que "Maître de conférences à Sciences Po". L'école s'engouffre dans un vide des textes pour permettre cette coquetterie à tous ceux qui professent au moins 24h par an chez eux. Ainsi, la Business School avec vernis s'achète du lustre universitaire en prétendant avoir une armée d'universitaires quand ils sont, comme bibi, vacataires. Pour mémoire, un maître de conférences a un service de 192H de cours par an. Soit huit fois plus que le seuil exigé par sciences po. Pas vraiment un détail. En outre, pour obtenir ce titre, il faut avoir soutenu une thèse de doctorat, pas une mince affaire. Cela ne confère pas des super pouvoirs aux maîtres de conférences, cela prouve une aptitude à enseigner dans le supérieur. Ni plus, ni moins. "Intervenant" ou "enseigne à" ne sont pas des mentions infamantes. Pourquoi vouloir écrire "maître de conférences" fors pour booster son ego ? Pour rien. Depuis 2 000 ans, l'ego reste le plus fort dopant du pouvoir et ceux qui gagnent en décidant de s'en passer existent, mais ne sont pas les majoritaires. Raison de plus pour les encourager.