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23/07/2017

Amis libéraux, Stakhanov n'existait pas.

propagande_URSS_stakhanov.jpgDans un cadre enchanteur, à une heure où la morale fond comme le sucre dans le café, je devisais égalité professionnelle avec une grande patronne. Il y avait sans doute d'autres sujets, mais quelque chose me retenait de lui faire part de ma passion pour le panache de Romain Bardet ou mon amour écologiquement coupable du tartare. Cherchant les causes du problème inégalitaire, elle m'avança, sûre d'elle : "le problème c'est que le moment où nous voulons et pouvons faire des enfants est celui où il faut fournir des journées de travail de 14 heures". Du haut de cette saillie quelques siècles de patriarcat productiviste me contemplent avec goguenardise. 

Le couplet stakhanoviste est déjà suffisamment déprimant quand il émane d'hommes, mais si des femmes le reprennent à leur compte sans déconstruire le mythe, où va t'on (la réponse est assurée : dans le mur) ? La fameuse journée de quatorze heures, qui, pour les plus zélés, peut monter à 17 ou 18... Ceci, pour arriver au même résultat que le plus célèbre mineur d'URSS, capable de produire 14 fois la norme d'extraction de charbon. Et encore, Stakhanov avait au moins le bon goût d'être ultra productif et pas de rester dans les mines au-delà des horaires de tunnel. Six heures par jour, pas plus. Ne pas s'attarder, bonne vodka ne saurait attendre. Maintenant que le mur est tombé, on peut peut être s'avouer qu'il n'a jamais trop accompli les performances que lui prêtaient la Pravda ? Comment ces mythes de surproductivité, de bourreaux de travail qui peupleraient les étages les plus élevés des entreprises se transmettent-ils ? 

Je n'en sais rien, mais je continue à lire sans cesse cela dans les portraits médiatiques de grands fauves. Dans la vraie vie, j'en ai connu, mais peu. Et leur cas relevait clairement d'une longue et exigeante entreprise de décontamination pour rester poli. Tous les types (je pense surtout à des mâles) étaient de grands malades pourchassant leurs équipes de mails le 31 décembre à 19h et de relances le 1er à janvier à 11h du type "quand vas tu me répondre ?". C'est insane. Pour deux raisons. La première concerne le sujet dont je discutais avec ma commensale : comme l'a bien montré la dessinatrice Emma, l'auteure de la BD sur la "charge mentale", les hommes ont moins de problèmes à quitter le travail à 21h, non pas parce qu'ils ont plus de travail, mais parce qu'ils ne cherchent pas à rentrer à 18h. Outre qu'ils acceptent les réunions commençant à 18h, ils prennent plus de temps pour déjeuner, musarder, entretenir leurs réseaux. Leurs journées comportent peut être 14h loin de leurs maisons, mais ça ne sont pas 14h de travail. Et ce sont les femmes qui sont pénalisées par cette comédie des bataillons stakhanovistes, ce mythe pèse lourdement sur l'inachèvement de l'égalité femme/homme.

La seconde raison est plus pragmatique : personne ne peut être performant, efficace, utile, 14h par jour. A l'occasion, cela peut arriver. C'est un artiste finissant une oeuvre et pris par la fièvre créatrice, oublie l'existence d'une montre. Ce sont des forces de l'ordre, des pompiers ou des soignants qui restent mobilisés face à une crise sécuritaire ou sanitaire et qui tiendront tant que la population aura besoin d'eux. Passé cet épisode anormale, le besoin de repos se fait sentir et tout rentre dans l'ordre. Si ça n'est pas le cas, on les force à se shooter, à se doper pour tenir et le dopage humain est aussi bon dans la durée que les OGM dopant les légumes. Yummy... Nous en payons déjà le coût aujourd'hui avec les milliards dépensés en arrêts maladies, en incapacité à reprendre le travail, j'en passe et des pires... Dans une société où des millions de personnes n'ont pas d'emploi, quelle intelligence y a-t-il à glorifier le fait que quelques millions (4,3 millions de cadres en France, plus des paquets d'aspirants cadres et dans le lot, une bonne part contaminée par la propagande productiviste) en face beaucoup plus que leurs parts ? C'est inepte et insane. Essayons autre chose.