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09/12/2018

Misères comparées, comparaison de misère

"Les français vivent au paradis et se croient en enfer". La vidéo de l'interview de Sylvain Tesson sur France Inter tourne beaucoup en ce moment avec des commentaires louant la sagesse du voyageur qui éclaire les gaulois réfractaires. C'est marrant comme un peu de talent oratoire ou de plume vous absout de vos idées rances auprès d'un grand public. J'ai toujours été gêné par les sourires déclarés par les diatribes anti impôts de Lucchini par exemple, mais comme il le dit avec ferveur et talent, on l'applaudit. Sylvain Tesson écrit très bien, à la hussarde, ou la cosaque dirait-il. Des phrases pleines d'adjectives et sans périphrase. Directes, brutes. Et puis il voyage beaucoup, c'est donc un esprit curieux et humaniste. Il suffit de lire son récit de la campagne de Russie pour savoir que Tesson n'est pas un ami du progrès pour tous et encore moins toutes. Il n'est question dans ses pages que de cuites masculines, de rires et alcools forts où les femmes ne sont que des silhouettes que l'on veut dévêtir. Quand à sa vision de l'étranger, elle se rapproche de celle de Morand, beaucoup de morgue française, de condescendance et de facilité. Bref, Sylvain Tesson c'est la France rance, la France moisie et sa phrase pue l'ancien régime qui trouve les jacqueries indéfendables.

Depuis le début de la crise sociale, les comparaisons fleurissent chez les éditorialistes pour évoquer le fait que la France serait championne du monde des impôts, compterait un trop grand nombre de fonctionnaires et un service public trop important. Comparaison curieuse. On pourrait commencer par rappeler à quoi cela sert à savoir que peu de pays offre une scolarité gratuite ou quasi gratuite depuis la crèche (il en manque, certes, mais tout de même) jusqu'au doctorat. L'hôpital public. Les retraites par répartition. C'est tout de même ce qui explique une espérance de vie en bonne santé supérieure au reste, une vitalité de la démographie, des études et moins de vieux pauvres qu'ailleurs. De cela, on ne parle pas.

L'autre comparaison est en bas de l'échelle, angle choisi par Tesson. Le SMIC est plus haut qu'ailleurs, le chômage plus long etc... Jamais la seule question légitime ne vient "et alors ?". A entendre les amateurs de la comparaison avec les pays plus flexibles c'est comme si le fait de mettre un SMIC à 100 euros et d'abolir les droits au chômage ferait de notre nation un pays de Cocagne. Évidemment, personne ne dit cela, mais leur logique est tout de même d'abolir le SMIC ("un frein") et de diminuer l'allocation chômage dans le temps ("qui désavoue la valeur travail"), donc je pousse leur logique jusqu'au bout, hein...   

Depuis une vingtaine d'années, pire encore que l'avis des français ayant voyagé, celui des expatriés. L'expatriation permet dans 99% des cas d'augmenter significativement son train de vie. Soit des expatriés économiques avec déjà un emploi et pour qui l'employeur fait un effort matériel important pour choyer ses "talents". Soit des diplômés qui partent vers des pays libéraux où les inégalités sont encore plus fortes qu'en France et où les 5% des plus favorisés voient leur rémunération s'envoler. Ils en font partie et veulent juste le gros gâteau. Réalise-t-on quand on leur donne la parole pour qu'ils se lamentent de "ne pas pouvoir rentrer en France car ils perdraient en pouvoir d'achat" que l'on parle uniquement des plus fortunés. Faut-il vraiment pleurer sur le sort des directeurs commerciaux, des data scientist et autres consultants qui sont mieux payés dans les pays anglo saxons ? Indécent et inepte.

Ces comparaisons sont scélérates et misérables. Pour reprendre la phrase de Tesson, ce qu'il ne veut pas voir, c'est le glissement. Notre modèle social a pris les bons choix avec le CNR, mais refuse de les financer. La santé est toujours gratuite, mais on manque de personnels soignants, d'établissements, alors on rogne sur les traitements, les médicaments, la durée des soins pris en charge etc... Sans mutuelles payantes, le service rendu n'est plus optimum. Idem pour l'éducation ou les cours de langue, de soutien scolaire et autres coaching viennent compenser une école qui ne peut compenser toutes les lacunes égalitaires. Sans parler du navire éducation supérieure qui prend l'eau comme jamais, tant les bataillons de nouveaux étudiants n'ont pas le droit aux équivalents de profs et de personnel administratif et étudient dans un environnement dégradé. Quand à nos vieux moins pauvres qu'ailleurs, avec la CSG, ils sentent que ça glisse et ne peuvent se refaire par le travail... Ils vivent dans un pays qui ressemblent de moins en moins au paradis et ils voient bien que si rien ne change, cela sera l'enfer pour leurs enfants, leurs petits enfants. Dans le même temps ils voient le Pin's 1 millions d'emplois pour le CICE, inutile ; l'ISF envolé, injuste et l'évasion fiscale qui galope, insane. 

Cher Sylvain Tesson, permettez moi de reprendre votre phrase : les français vivent un enfer à cause de leurs compatriotes qui squattent les paradis fiscaux.