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05/02/2019

Accélération de la décomposition

Il est un point sur lequel Emmanuel Macron a gagné bien au-delà de ses espérances : sa présidence mettra fin aux politiciens professionnels, aux élus à vie. Mais là où le héraut de la révolution libérale espérait que cela se serait fait au gré d'allers/retours volontaires entre public et privé, entre ONG et politique, la valse des départs se irréversible des élus se fait sur fond de dégoût. Et cela ne profite à personne. Les adversaires les plus farouches de la macronie peuvent bien fanfaronner sur la faiblesse du pouvoir en place, ils hériteront de ce discrédit quand ils arriveront aux responsabilités. La dette de confiance sera alors si lourde qu'il faudra s'attendre au même délitement de l'opinion en quelques mois, voire quelques semaines, ou à une reprise en main plus autoritaire, moyen historiquement éprouvé de faire taire les sceptiques. 

Cette crise du renouvellement est visible depuis les premiers besoins de remaniement ministériels où tous ont pu constater la faiblesse du "banc de touche" marconiste. Le remplacement de Hulot par De Rugy est évidemment un drame à l'adresse des écologistes. Idem pour l'intérieur : Castaner en remplacement de Collomb c'était une insulte à l'aspiration macroniste de prendre "les meilleurs à chaque poste, sur leurs compétences". La gestion de l'ordre des manifestations de gilets jaunes par Castaner enfonce le clou. Où sont les champions de la société civile prêt à rejoindre la marche triomphante du progrès ? Ils restent au chaud dans leurs starts-up, dans leurs grandes boîtes, dans leurs hautes administrations, pas folles les guêpes...

Autre signe saillant de la faiblesse du banc de touche : les européennes. On avait annoncé Thomas Pesquet et des tas d'autres noms, jeunes, bankables, frais et pimpants. Patatras. Aux dernières nouvelles, on hésitait vaguement entre Le Drian (qui a refusé) Juppé (itou) et Cohn Bendit... Quand la France Insoumise arrive à débaucher la porte-parole d'Oxfam même pas 30 ans, le contraste d'attractivité est criant, pour ne pas dire cuisant. 

Pour les municipales, Collomb est déjà parti, Darmanin a crânement expliqué qu'il serait candidat à Tourcoing, façon d'anticiper poliment un départ en 2020. Pour la ville de Paris, Macron avait lancé entendre partout qu'il voulait un "Bloomberg à la française", un champion des affaires qui viendrait sans étiquette en politique. Tu parles, les seuls qui vont au feu sont tous des élus de la macronie : Griveaux, Majhoubi, Renson, Villani. Extension du domaine de la castagne, mais pas extension du réseau de la macronie...

A l'Assemblée, outre les quelques défections (7 ont quitté le groupe dont l'ineffable Son Forget, quelques élections invalidées plus l'exclusion de Sébastien Nadot au motif qu'il avait refusé de voter le budget) un nombre croissant de députés ne se privent pas de dire face caméras qu'ils ne feront qu'un mandat. Macron ne voulait pas de professionnels de la politique, il doit être comblé... 

Dernière faiblesse criante, le château. Hier Philippe Granjeon l'a officiellement rejoint pour renforcer une communication décapitée par le départ de Sylvain Fort il y a plusieurs semaines... Le pompier de service a bossé pour Moscovici, Sapin, DSK... Tu parles d'un perdreau de l'année et d'un renouveau. Comment ne pas être sidéré par cette incapacité à recruter ? Pire, dans les refus essuyés par Macron, on compte celui de Franck Louvrier. Un camouflet inouï : d'abord penser que l'homme du renouveau a tenté de débaucher le communicant exclusif de Sarkozy, ça pique. Ensuite, la raison invoquée par Louvrier pour justifier son refus : se concentrer sur les municipales de 2020 à la Baule. Jadis Paris valait bien une messe, aujourd'hui, ça ne vaut même plus une station balnéaire. 

On pouvait évidemment se moquer de tous les planctons qui, pendant 40 ans, se sont accrochés plus forts que des berniques aux rochers. Ravalant leur orgueil défaite après défaite, camouflet après camouflet, ils restaient disponibles pour un poste, un maroquin, une sous préfecture... De Cambadélis à Hortefeux, de Bayrou à Placé et Jean-Michel Baylet, on ne compte plus les notables assis sur des prébendes à vie. Leur inamovibilité a sans conteste causé beaucoup de tort à nos institutions. Evidemment. Si cela peut mettre fin aux carrières publiques, tant mieux. Tant mieux si davantage de femmes et d'hommes décident de s'engager en politique pour servir plutôt que se servir selon la formule consacrée. Mais la noria des départs depuis 20 mois finira par faire passer les nouveaux responsables pour un mélange d'opportunistes (ils saisissent les perches en sortant de nulle part), d'ingrats (ils s'esquivent pendant la campagne) et beaucoup plus graves, d'incapables (ils partent sans avoir eu le temps rien faire). Tout cela ne profite pas à la démocratie. Le réenchantement de celle-ci ne peut passer par des artifices grossiers comme un débat cadenassé et maquillé comme un camion volé. Face à la putréfaction institutionnelle, il faudra plutôt le courage de la vraie transparence. Comme dirait le sélectionneur du XV de France avant d'aller à Twickenham, c'est pas gagné...