Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/11/2019

Bulle de filtre, vraiment ?

Depuis le Brexit et l'élection de Donald Trump, une petite musique un peu facile nous explique que les réseaux sociaux nous enfermeraient dans des bulles de filtres qui nous pousseraient à voir uniquement nos mêmes. La thèse est séduisante. Après tous, les algorithmes nous poussant à voir ce que nous aimons, ce qui nous émeut, nous indigne ou nous ravit, mais en tous cas nous voyons bien que ce que nous suivons nous reviens plus fort qu'un boomerang. Cette étrange sensation que ces outils nous poussent à ne voir que ce que nous aimons et nous enfermant dans un cocon doux de certitudes.

Dominique Cardon parle des bulles de filtres et explique que c'est sans doute moins binaire que ce qu'on en dit, que nombre de gens aiment avoir des amis qui ne pensent pas comme eux, aiment débattre, se confronter, troller joyeusement ou simplement suivre. Que l'avantage du numérique c'est aussi de pouvoir suivre, s'exposer sans se confronter. Et Gilles Finchelstein de citer des études qui me manquent (.... putain d'Alzheimer précoce je ne me souviens plus de la source, si quelqu'un l'a) attestant que de toutes nos interactions sociales : famille, amis, travail et vie en ligne, l'espace où nous sommes confrontés au plus de diversité d'opinions serait... les réseaux sociaux. 

Un partout balle au centre ? Contrairement au foot, il n'y a pas d'arbitrage, humain ou vidéo, fiable pour juger de ces thèses. Les chiffres, l'audience des réseaux sociaux sont tellement gigantesques, nous baignons dans des ordres de grandeur tellement gigantesque qu'il est impossible d'attester dans un sens ou l'autre à l'aide de notre seul perception ou ressenti. 

A mesure que le temps passe, j'avoue être davantage convaincu par la thèse Finchelstein. Dans ma famille, la droite et les macronistes, les anti vaccin, les pro manifs pour tous les conspis (sans lien de cause à effet entre ces catégories, hein, c'est pour prendre du segmentant) n'existent pas. Peu dans mes amis, beaucoup plus au travail (surtout pour les gens de droite, hein), et beaucoup, beaucoup plus sur les réseaux sociaux...

Ce qui m'a le plus frappé comme exemple, c'est un post Facebook sur les anti vaccins où j'ai vu 10 voix favorables à la non vaccination s'exprimer. Rien de tel autour de moi, dans mon cercle intime, où je pense ne connaître personne défendant cela. Et pour cause, c'est pour moi une ligne rouge. Je ne pourrais être ami proche avec un(e) criminel(le) en puissance. En revanche, on peut discuter, s'écouter, débattre et échanger. Sur Linkedin, le contraste entre réalité et virtualité est encore plus frappant. Je reproduis systématiquement mes plaidoiries ou réquisitoires des Tribunaux pour les Générations Futures et les nombreux commentaires (50 pour le cas d'hier...) sont infiniment plus divers que ce qui s'est passé en réalité. Ces événements sont ouverts, mais passent par des réseaux, des puissances invitantes qui exercent un premier tamis très serré. Parfois, des étudiants, parfois des managers, à l'occasion des Colibris... Toujours est-il que les bulles sont en amont et avant d'accuser la technologie, admettons que nous avons un fonctionnement tribal et que nous aimons à nous rassembler dans une myriade de petits archipels pour parler comme Jérôme Fourquet, archipels qui coexistent, qui cohabitent, qui se frôlent, mais rarement se mêlent... Dès lors, les verdicts de nos procès sont souvent tranchés, l'opinion non pas unanime, mais moins diverse que dans le pays. Eu égard au baromètres de confiance pour les médias, que j'ai pu l'emporter facilement sur un thème comme "les journalistes sont-ils des vendus ?" en plaidant que NON, il fallait vraiment que je sois devant une salle acquise... Idem pour "faut-il interdire la voiture individuelle à Paris ?", quand on songe au nombre de personnes voulant rouler tranquille, un verdict pro interdiction est impensable face à  une foule "représentative".... Quand je reproduis ces textes sur Linkedin, la majorité silencieuse s'exprime. Et s'exprime crûment. C'est parfois fatiguant, peu argumenté, souvent, ils ne m'ont pas lu et se sont arrêté au titre du procès pour dire : "bien sûr que les journalistes sont des putes" ou encore "arrêtez d'emmerder les gens en bagnole et retournez bosser". C'est aussi parfois plus cortiqué et donne à entendre ceux qui ne pensent pas comme nous. 

Territorial, scolaire, professionnel et social, le cloisonnement est avant tout dans le monde réel. Les bulles de filtres sont plus visibles dans les bars pour hispters ou les Tacos que sur les réseaux sociaux. L'accusation technologique a toujours bon dos, mais se heurte au mur du réel. Pour avoir de la confrontation, ces outils ne sont pas inutiles, même si le niveau des controverses, lui, n'est pas toujours celui qu'on aimerait.