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04/01/2020

Privilège, privilège, ont-ils des gueules de privilège ?

La grève dure, les préjugés restent. Alors même que la focale s'élargit chaque jour sur la réforme des retraites, permettant de voir que des millions de personnes seront lésées, au premier rang desquelles les profs et les soignant.e.s., certains tentent de rétrécir le débat. Ainsi, dans la bouche de nombre de commentateurs et (ir)responsables politiques, tout se passe comme si le problème portait sur le tout petit bout de la lorgnette : les cheminot.e.s et salarié.e.s de la RATP. Et donc, ces deux corps professionnels seraient, le mot est répété en boucle, des "privilégiés".

Les journalistes sont une profession se précarisant de plus en plus avec les années dont les revenus sont difficiles à estimer. Le chiffre de "salaire médian de 3600 euros" est calculé sur les titulaires de cartes de presse, mais un rapide coup d'oeil à la pyramide des âges et aux courbes de rémunérations montre une chute drastique des revenus de journalistes (les débutants sont à 1700 euros en moyenne et rares sont ceux qui parviennent au dessus des 3 000 euros) où le CDI devient un Graal, et où le fait de vivre correctement de ses piges, une exception. Les éditorialistes qui fracassent les transporteurs syndiqués, en revanche, ont pour la plupart des émoluments à cinq chiffres mensuels. Non seulement cela, mais surtout une absolue non précarité de l'emploi.

Combien de stars au chômage après des flagrants délits de conneries, de boniments, d'ignominies, de calomnies et autres ? Aucun. Apathie a été recyclé sur des chaînes de second rang, mais il sévit toujours. Pujadas exfiltré de France 2 a un strapontin sur LCI, même PPDA, Elkabbach et encore Duhamel trouvent toujours des employeurs. Pour un boulot non pénible (la pénibilité est du côté de ceux qui subissent l'écoute), facile et routinier, sans stress, sans responsabilités, et avec émoluments gras. Ils répètent en boucle que ceux qui arrivent à un peu plus de 2000 euros de retraites après une vie d'un travail pénible, dangereux, répétitif, aux responsabilités très lourdes (les accidents grave de transports sont plus fréquents que les blessés au maquillage ou en tombant d'une chaise) sont des privilégiés. C'est insane, indécent, immonde.

Les mots ont un sens. En l'espèce "privilège" est "un avantage particulier accordé à un individu ou à une collectivité en dehors de la loi". En théorie, ils ont été abolis avec la loi du 4 août 1789. En pratique, une caste de privilégiés se constitue depuis les années 80 : alors que le choc néolibéral a fait vaciller tous les fondamentaux solides, tous les statuts protecteurs, pour nous faire basculer dans une modernité liquide et incertaine partout, eux sont certains de toujours s'en tirer. Ce sont les éditorialistes ci-avant évoqués et qui jamais ne connaissent la case Pôle Emploi ou la reconversion forcée. Les financiers qui se reconvertissent dans le conseil quand ils ont trop cramé sur les marchés. Les conseillers du prince, justement, les managers interchangeables et re recrutés après avoir prodigué moult idées destructrices (Alain Minc comme tête de gondole). Eux sont d'authentiques privilégiés dans le sens où certaines de leurs erreurs auraient dû les éconduire à vie, les mettre à l'ombre, mais non. Prenez les banquiers toujours là après 2008. Les cadres de Renault pris dans une affaire de barbouzes (déjà...) avec la Chine et toujours là dix ans après, comme monsieur Pellata, qui a rédigé un rapport sur la mobilité pour l'Elysée. Tout ceci, sont d'inoxydables et inacceptables privilégiés. Mais les autres ? 

Ce matin, en allant faire mes courses, je suis tombé sur un malheureux qui faisait la manche, un autre qui demandait directement à celles et ceux qui entrent dans une boutique s'ils pouvaient lui acheter un plat et un troisième qui sortait d'un porche d'immeuble bloqué par son duvet de nuit, qui courait après les rares passants, les pieds nus... Face à eux, nous sommes tous privilégiés, tous ceux qui avons un toit sur la tête. Voilà ce qu'on veut nous faire ressentir. Nous faire ressentir la peur du déclassement, de la chute, de la vraie catastrophe. Presque la moitié des français disent éprouver la crainte de basculer à la rue, un jour, une proportion qui ne cesse de croître. Le résultat de trente cinq années d'émiettement des fondamentaux sociaux. 

Ça en fait, du monde dans la galère. Les cheminot.e.s et salarié.e.s RATP ont la tête qui dépassent de l'eau au moment de la retraite ? Qu'on leur coupe la tête ! Quelle révolution inversée... Je vois passer les éléments de langage macroniste sur les retraites des agriculteurs.rices, censées donner honte aux conducteurs.trices de bus. C'est inepte et grotesque. Les retraites des agriculteurs.rices me font tout aussi honte en tant que citoyen. Je me dis que le 5eme pays le plus riche au monde peut sans mal permettre à toutes et tous de ne plus avoir faim ou froid, et à toutes celles et ceux qui ont travaillé quarante ans, d'avoir des retraites dignes. Par digne, on entend au minimum 1200 euros, comme le SMIC, et pas 1000 euros dans 10 ans. 

"Quand on lâche sur les mots, on lâche sur les choses", écrivait Freud. Et on ne doit pas lâcher sur le détournement des mots d'argent, de situation. Me reviens en mémoire, lors des premiers procès perdus par Bernard Tapie, les titres qui le disaient "ruinés". On lui avait saisi son yacht et son hôtel particulier, bon. En quoi est-ce la ruine ? A t'il dû cesser d'acheter des vêtements, eu des problèmes à mettre un toit sur sa tête, à pouvoir s'acheter à manger ? A partir en vacances ? Non, évidemment. Il n'a jamais été ruiné. PPDA n'a jamais été "éjecté". Carlos Ghosn n'a pas "eu affaire à une injustice folle". Le travestissement de la réalité atteint des summums.

Les véritables privilégiés de ce pays devraient se souvenir de ce qui s'est passé la nuit du 4 août 1789. Tout n'était pas alors réuni pour véritablement connaître, identifier, prendre possession des privilèges indus. Aujourd'hui, si. Et en haut de l'inventaire, ni même cent lignes plus bas, on ne trouve trace des retraites des transporteurs.