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23/03/2020

La fragilité au sommet de la pyramide

Confinés et englués dans le présentéisme sidérant, penser à l'avenir est notre seule fenêtre d'espérance. Dans l'avenir on pourra à nouveau s'embrasser, s'étreindre, se prendre dans les bras, danser et se cuiter. Et tant qu'à sublimer l'avenir, autant espérer qu'il soit plus beau que le passé. Plus beau, et notamment plus solidaire, plus soucieux des fragilités du vivant.

L'urgentiste Baptiste Beaulieu avait raison de s'émouvoir du fait que nombre de commentaires prennent à la légère l'épidémie au motif qu'elle "ne tuerait que les vieux et les plus fragiles" et le médecin de rappeler qu'on juge l'e degré d'humanité d'une société précisément à la manière dont elle s'occupe des plus fragiles de ses membres. Jamais une épidémie n'a déclenché un tel soutien, une telle mobilisation mondiale et pourtant elle touche les plus fragiles, pas les forces les plus vives de la Nation. L'effort de guerre pour lutter contre le coronavirus, y compris l'effort dans la recherche surpasse de très loin, éclipse ce qu'on a pu voir pour le SIDA. Cette épidémie a fait 32 millions de morts depuis son apparition dans les années 80, 90 millions de personnes infectées avec des conséquences lourdes. Or, même s'il y a un fonds mondial pour le SIDA, que nombre de pays ont mis de l'argent, la Fondation Gates et autres ONG internationales ont été les principaux bailleurs, les initiatives caritatives et associatives se sont bougées avant le public. 

Quand l'épidémie s'est répandue, de trop nombreuses voix ont relativisé la catastrophe en arguant que c'était une maladie de "pédéraste" ou "d'inverti", on a mis à distance. Et puis, bon an mal an, ces stigmates initiaux se sont effondrés et les hétéros bon teint ont bien dû admettre qu'à cause de cette saloperie ils devaient faire quelque chose d'horrible, quelque chose de vraiment contre-nature : enterrer leurs enfants. Parmi les survivants de l'épidémie, beaucoup se rappellent la désolation, l'isolement social et la terreur quand le téléphone (fixe...) sonnait, qu'il n'annonce une nouvelle mort. 

Avec le coronavirus on n'est pas dans quelque chose d'anthropologiquement plus classique : les enfants enterrent leurs parents. Alors on a peur, on frémit, on vient aux nouvelles car on redoute, mais c'est plus classique. Je trouve merveilleux que l'on cesse tout, toutes affaires cessantes et notamment les affaires, pour s'occuper de nos aînés que l'on réduit trop souvent à un statut d'inactif, voire d'improductif. 

D'ailleurs, si les néos libéraux étaient conséquents, il ne faudrait aucun confinement : ce coronavirus c'est la chance de leur vie, pour leur modèle moisi. Un député LREM avait plaisanté à la tribune en expliquant "qu'avec un gros coronavirus en France, on pouvait ne pas toucher au système de retraites". C'est de l'humour macroniste, il faut être initié, mais derrière le cynisme glaçant, il y a une réalité économique : les vieux coûtent très cher en soin, ils ne produisent plus de richesses et pompent des retraites. Leur consommation et impôts ne compensent pas, c'est un boulet pour notre croissance telle qu'elle existe. S'ils venaient à tous crever d'un coup, plus de problème de système de retraite, avec les taxes sur les héritages, plus de problèmes de dettes, plein d'appart libéré sur le marché, le mythe de la rotation permanente qui tourne à plein... Presque que des avantages. Et je suis ravi, mais alors vraiment ravi de voir que les néolibéraux ne sont pas conséquents, ne sont pas logiques, ne sont pas jusque boutistes et ne laissent pas crever les vieux. 

On ne peut évidemment pas mettre les deux sur le même plan, mais l'économie néolibérale fonctionne précisément sur l'élimination permanente des plus fragiles. Les vieux d'abord, les sans diplômes, sans qualifications, les étrangers, les handicapés, les pas comme il faut. La roue tourne de plus en plus vite et en laisse de plus au bord de la route.

Si demain, nous repartons comme en l'an si ça n'est 40, mais disons 2019, alors ça sera un carnage. Pas le coronavirus, pas quelques dizaines de milliers de morts. Non, des dizaines de millions. Expulsés, incapables de se soigner, sans job, la crise économique va laisser un paquet de gens en situation de grande fragilité. Quelque part entre la crise de 1929 et celle de 2008, lesquels ont fait beaucoup de mort, de faim, d'incurie... Ça n'est pas une fatalité pour autant. Avec une reprise générale des Communs, on peut et on devra permettre à chacune et chacun de s'en sortir. Mais ça passe par une inversion de la pyramide des valeurs avec le prendre soin des plus fragiles bien au dessus de la performance au sens darwinien du terme.