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12/11/2020

On ne naît pas complotiste, on le devient

Cet été, alors que les gestes barrières n'étaient plus qu'un lointain chuchotis et pas encore la mélopée assourdissante actuelle, j'ai dîné avec un éditeur en vue. Non, ça n'était pas Antoine G. sur son yacht, mais un éditeur indépendant, avec son petit succès, dans un jardin. Il avait d'ailleurs si peu la grosse tête qu'il cuisinait lui même les calamars, nous affirmant que nous ne saurions pas les réussir. Le doute l'habitait pour tout. Il parlait sotto voce, se hasardait toujours en conjectures  sur demain, écoutait tous les avis contraires avec componction. Et puis vinrent les digestifs et alors il sut de manière absolue ce qui nous menaçait et ne voulait plus entendre de nuances. Dès le premier liquoreux, il lâcha les chevaux : "le problème aujourd'hui, c'est la mort de la vérité. La mort des faits. Avec le Covid, même la science est remise en cause. Pauvre humanité si même les savants ne sont plus écoutés". S'en suivit, dans la diatribe, l'habituel couplet à l'encontre des réseaux sociaux, fabriques à crétins patentés ; l'école qui ne fait plus son job et patin couffin... Un tenant du progrès social nous livrait l'édition 2020 de la défaite de la pensée qui popularisa vraiment Finkielkraut, en 1987. 

Je sentais une vraie détresse, une vraie faille dans le logiciel de la doxa. Je partageais une part de ses craintes, impossible de fermer les yeux sur la déferlante de fake news, mais une part seulement car je n'oubliais pas d'où cela venait. Je le relançais : "Bien sûr que les tours de New York se sont réellement effondrées le 11 septembre 2001. Mais les armes de destruction massives, au nom desquelles ont a envahi l'Irak en 2003, n'existaient pas. Même Tony Blair l'a reconnu. Servier fut protégé pour le Médiator. Les dirigeants des Panama Papers, idem. Le référendum de 2005 sur l'Union Européenne : tout le monde jurait la main sur le coeur d'en tenir compte, avant de nous la faire à l'envers, dès 2008. Et la liste serait infinie des mensonges d'État:  les dirigeants progressistes ont plus menti ces vingt dernières années qu'aucuns de leurs prédécesseurs. Et ce, en toute bonne conscience car ils sont persuadés de faire le bien d'un peuple trop con pour comprendre ce qui est bon pour lui". Le silence qui s'en suivit n'était pas poli, il suintait le conflit larvé...

Le mensonge public n'est pas chose nouvelle. Mitterrand a caché son cancer pendant 15 ans et les soviétiques ont menti sur Tchernobyl. Pendant la guerre froide, le mensonge était érigé au rang d'art, puisque c'était un acte de résistance. Passé 1989, on nous a bercé sur l'air de la neutralité, de la justesse, de la raison. La figure symbolique, ou symptomatique, de cette pensée neutre, serait cette ordure d'Hubert Védrine. Invité sur toutes les ondes, chroniqueur régulier de France Culture où il distille ses analyses compassées et "réalistes", il n'est jamais ô grand jamais fait mention du fait qu'il a touché plus d'un million d'euros (66 000 euros par an) comme administrateur de LVMH. On ne le relance jamais sur sa responsabilité avérée dans les 800 000 morts du génocide au Rwanda. Non, "il est tenu par la raison d'État et il a fait ce qui était juste". Fermez le ban... Des exemples comme cette crapulette de Védrine, j'en ai cent. Des lâchetés, des compromis, des stipendiés, j'en vois cent... Jamais cités.

Cette omerta sur les mensonges, les omissions, les manipulations des ploutocrates, nous les prenons aujourd'hui en pleine poire avec le retour du refoulé. Juan Branco ou les Pinçot Charlot n'étaient pas infréquentables, avant. Branco a fait ses classes à l'école Alsacienne et à Sciences Po, a bossé avec Filippetti sous Hollande. On a connu des anarchistes moins infiltrés... Il ne s'est décidé à rompre que lorsqu'il a compris que raconter des carabistouilles était porteur et surtout vendeur. Les Pincot Charlot étaient considérés comme rigoureux quand ils suivaient des châtelains, des chasseurs à courre. Et ils l'étaient. Et puis, ils ont basculé, ont glissé, ont commencé à raconter des choses sur des personnes qu'ils n'ont jamais rencontré, mais qu'ils estiment coupables, parce que riches. Et puis, ils ont vrillé total... Ad nauseam, les fleurs complotistes s'épanouissent sur du fumier progressiste.

Dans "hold up", titre prémonitoire pour un documentaire sur la crise Covid nécessitant 20 000 euros de frais qui en a collecté 182 000, Monique Pinçon dit ceci :"Je pourrais peut-être choquer votre caméra si je dis ça, mais pour moi on est dans la troisième guerre mondiale. On est dans la troisième guerre mondiale mais c'est une guerre de classe, c'est une guerre de classe que les riches mènent contre les pauvres de la planète. Et dans cette guerre de classe, comme les nazis allemands l'ont fait pendant la deuxième, il y a un holocauste qui va éliminer certainement la partie la plus pauvre de l'humanité, c'est-à-dire trois milliards cinq cent millions d'êtres humains dont les riches n'ont plus besoin pour assurer leur survie sur la planète. Parce qu'avec l'intelligence artificielle, avec les robots, honnêtement, ils n'ont pas besoin de toutes ces bouches qui ont soif et qui ont faim, à un moment où ils ont pillé la nature, la nature est foutue.". Répondre point par point à ces horreurs est une tannée, une tâche qui n'est pas sans rappeler le nettoyage des écuries d'Augias. Les valeureux "debunkers" de cette vidéo ont raison de le faire, mais leur audience cumulée n'atteindra jamais l'écume de l'audience rencontrée par Hold Up. En 2016, la vidéo "le pape François soutient Donald Trump" a été partagé 27 fois plus que celle qui le démentait (800 000 contre 30 000, environ). Le premier qui parle, le bonimenteur a souvent gagné. Cette règle prévaut toujours en 2020, avec des audiences gonflées comme des grenouilles aux hormones. 

Songeant à la manière de combattre ce genre d'ignominie, nos amis progressistes engagent la responsabilité des plateformes, le rôle dramatique des enrôleurs de mauvaise conscience, l'école aussi ce bastion de gauchistes qui instillent le poison du doute... Mais jamais ils ne questionnent leur propre bilan. On peut toujours se consoler, se moquer de celles et ceux qui pensent qu'un vaste complot dirige le monde, de la 5g imposée aux vaccins qui contiennent des molécules nous rendant dociles et serviles en tout. Le tout étant piloté par des juifs. La preuve, ils se réunissent à Bilderberg, c'est quand même pas un nom goy...  Certes, c'est risible, mais à peine plus que les gigantesques mensonges bafoués d'un revers de main. Français.es, encore un effort pour lutter efficacement contre le complotisme...