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07/06/2021

Mélancolie de gauche

En 2016, l'historien italien Enzo Traverso faisait paraître un essai au titre prophétique Mélancolie de gauche. Comme pour le Covid, l'Italie avait un peu d'avance sur la France dans un phénomène qui nous paraissait impensable avant de le vivre : le confinement d'un côté, l'effondrement de la gauche de l'autre. 

Je ne veux ni refaire le match, ni jouer les mauvais perdants, je me borne à constater un point : il est beaucoup plus dur d'être de gauche. La gauche projette dans l'imaginaire une telle supériorité morale que tout accroc la brûle instantanément quand on la comprend, voire ça nous rassure, à droite. Sur des faits de fraude et d'enrichissement personnel, Cahuzac s'est grillé à jamais auprès de son électorat quand Balkany, Fillon et autres sont toujours plébiscités dans leur camp. Même Georges Tron est plébiscité dans son camp. Il suffit de regarder le gouvernement actuel : 12 ministres recadrés fiscalement, Darmanin avec des plaintes pour viol, tout passe crème. 

A droite, les complotistes sont de sortie depuis des années. Quand Eric Zemmour dit que "les écolos sont verts car c'est la couleur de l'islam et qu'il n'y a pas de fumée sans feu" on hausse les épaules et on passe à autre chose. Fillon parlait de "cabinets noirs" contre lui quand tout prouvait qu'il avait "juste" oublié de donner un travail à sa femme pendant 30 ans mais pensé à prendre le salaire afférent... Etc etc. Personne ne leur en a jamais tenu rigueur et on a continué à les interviewer comme des personnages d'État. On a évoqué des "dérapages".

On pourrait dire de Mélenchon qu'il a "dérapé" hier. Mais non, il a "viré complotiste", qualificatif qui vaut excommunication. Depuis tout le monde lui tombe dessus. Toute la gauche "morale" justement, qui le honnit depuis la guerre en Syrie et évoque le Vénezuela au bout de cinq secondes de débat sur le personnage. Toute la macronie trop heureuse de voir le meilleur débatteur de France en sale posture. Je les comprends et je n'excuse pas l'insoumis en chef d'autant moins que lui même ne reconnaît pas l'erreur et s'enfonce. Dire "les faits divers malheureux, l'insécurité sont instrumentalisé dans la dernière ligne droite d'une présidentielle", c'est vrai. D'ailleurs Mélenchon a raison pour Papy Voise en 2002, qui causa beaucoup de tort à Jospin. Mais Merah ? L'un des crimes les plus ignobles commis en France depuis des décennies, l'assassinat de militaires puis d'enfants parce que juifs. Comment peut-on laisser sous-entendre qu'une telle horreur ait été, sinon manigancé, a minima récupéré par le pouvoir ? C'est ignoble. C'est ignoble et ça n'a rien à voir avec le parcours, la carrière, les dits et écrits de Mélenchon. Il ne l'a pas reconnu. Tant pis pour lui, tant pis pour nous, la gauche. 

Car au fond, c'est ça le drame de la gauche : les brûlures des uns brûlent aussi les autres. Si Philippe Dayan, le psy d'En Thérapie était avec nous, sans doute dirait il que la sortie de Mélenchon est celle d'un homme dépité, un homme aigri. Un homme frustré par la tournure du débat : alors que nous vivons la pire crise économique et sociale depuis 70 ans, que nous sommes menacés par des périls écologiques irréversibles, l'alpha et l'omega du débat est dominé par le sécuritaire et l'identitaire. C'est à devenir fou, je comprends. Et la sortie d'hier est une sortie folle. Je manque d'imagination et ne saurais dire comment mais je suis bien certain que nous allons continuer à sombrer.