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04/09/2012

Absence des échanges en milieu tempéré

9782213668826-G.jpgJ'aime les romans sociaux quand ils ne le claironnent pas. Quand ils n'avancent pas sur les tables de librairies, la jaquette ardente, promettant l'énième Germinal. Là, rien. D'ailleurs rien dans la presse non plus. J'avoue ne pas connaître l'auteur, qui a déjà manifestement une dizaine d'ouvrages derrière lui. Lui, c'est Thierry Beinstingel et le titre c'est "Ils désertent". 

Pitcher n'est pas aisé, d'ailleurs pitcher n'est pas jouer, puisque pitcher détourne de la lecture, ou met le curieux sur une fausse piste. Disons, sans trop trahir l'esprit, que c'est le grand roman du Contrat de Génération de François Hollande. Je plaisante à peine. Le roman raconte l'histoire de l'Ancêtre, quarante ans de vente, à deux doigts de la retraite et d'une jeune, très jeune, directrice des ventes. 

L'Ancêtre réalise encore le meilleur chiffre de ventes de la société, mais n'a aucune envie de changer de méthodes. Sans doute coûte-t-il plus cher que les autres vendeurs et c'est pour cela que les nouveaux dirigeants veulent le liquider. Tâche pénible, qui incombe bien sûr à la toute jeune directrice néophyte. Car elle vient d'arriver après quelques temps à vendre des godasses de sport. C'est là qu'elle est devenue sportive, d'ailleurs. L'Ancêtre, lui, le sport, connaît pas. Il mange trop, mais rien à côté de ce qu'il fume. Il s'en fout, sa femme est partie et personne ne le regarde. Il repasse ses chemises, mais c'est pour le boulot, son truc. Avec la conduite, en pilote automatique, des millions de kilomètres avalés depuis le temps. La jeune, elle, a le volant en horreur et dès qu'elle le peut, lui préfère le train. 

Pendant plus de 100 pages, ces deux destins appelés à se lier, s'esquivent. Et la première rencontre n'est guère concluante. Le reste, du livre comme du propos, c'est de la littérature. Sociale, donc. C'est ce que m'en a dit mon libraire et j'ai mis du temps à m'en rendre compte car l'auteur n'arrive pas avec les sabots habituels. Nous ne sommes pas dans une révolte de masse à l'occasion d'un plan social (qui peuvent être réussis, comme chez Mordillat) mais dans une absence des échanges en milieu ordinaire et tempéré : la France de 2012.

Là où le roman fait le plus mouche, c'est dans ce qu'il dit de la sécheresse de ces vies. On pense à notre taux de chômage des juniors et des séniors, souvent le triple du reste de la population. Aux deux extrémités de la vie active, le barnum informatif serine tellement à tout le monde que le fait même d'avoir un emploi est un privilège absolu que les deux personnages glissent lentement en dehors du royaume des hommes. L'Ancêtre s'accroche à cette tâche qui l'exténue car il ne peut plus envisager la vie autrement et la jeune ne réalise pas qu'elle est empêchée de vivre normalement par ce poste qu'elle a accepté puisqu'il lui a permis de devenir propriétaire. Au lieu de les rapprocher, cette âpreté du monde professionnel les érigent l'un contre l'autre. Ils ne se comprennent pas ou ne veulent pas se comprendre.

En refermant le livre, on redoute de lire les journaux avec ces nouvelles économiques monochrome anthracite qui nous rappelleront cette inhumanité caractéristique de l'époque. Du coup, si je pouvais, je me rendrais au Havre au premier Forum de l'économie positive où de nombreux acteurs inventent et trouvent des solutions pour entreprendre autrement. Je ne pourrais y être, mais me réjouis d'avoir des amis qui parlent là bas. Ils reviendront et on boira bière ou jus d'orange et ils m'expliqueront ce qu'ils ont entendu : ces autres qui veulent réinstaller des oasis au milieu des terres que tous ont déserté.

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