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10/01/2013

Roman pour tous !

9782879299860.jpgQuand on publie un roman tous les dix ans et qu'on vit de cela, mieux vaut ne pas se planter. Jeffrey Eugenides est un cas à part et s'il enseigne désormais la littérature à la prestigieuse fac de Princeton, voilà un romancier qui depuis Virgin Suicides, son premier roman, pourrait vivre de sa plume. Son second opus, Middlesex m'avait flanqué une grosse gifle. Mon amoureuse me signala la parution, le roman du mariage. Afin de rester pur, je fonçais l'acheter et décidais de ne rien lire dessus avant de l'avoir fini. 

Je mis un point d'honneur de gourmet littéraire à ne pas l'engloutir en 24h comme un livre Mc do, mais impossible de faire durer ce morceau de plaisir trop longtemps. Au bout de 3 jours à peine le merveilleux roman est avalé. Il faudra désormais attendre 10 ans pour le prochain... Mais comme pour certaines grandes bouffes, les souvenirs restent fort longtemps.

Les 50 premières pages sont bluffantes, mais est-ce bien raisonnable de s'appesantir là-dessus ? Tous les bons écrivains américains musclent leurs premiers chapitres à grands renforts du tuyaux appris en séminaire de creative writing pour le vendre à leurs agents et à leurs éditeurs, pour aider à fuiter dans la presse et aller vers leur succès. Il leur arrive malheureusment de se relâcher après... Les mauvais livres de Mc Inerney ou de Bret Easton Ellis ont toujours un excellent début, idem pour "extrêmement fort et incroyablement près" de Safran Foer qui reprend ce qui avait fonctionné dans l'excellent "tout est illuminé" avant de s'enfoncer lamentablement sans jamais redécoller.

Sauf que là, ledit chapitre a plus de souffle: en deux cents pages, il plante les trois personnages, tend entre eux les fils du triangle amoureux et ménage la suite. La suite est brillante, il y a parfois vingt pages molles (sur 550 ça s'appelle reprendre son souffle et c'est là où les critiques du Masque et la Plume ont décroché avant d'aller parler dans le poste) mais l'ensemble est saisissant de virtuosité. On suit Madeleine dans son choix amoureux complexe. On sent bien qu'elle le regrette avant même de l'avoir fait tout en étant, au moment où elle embrasse son élu, la plus heureuse femme du monde. Les soupirants sont parfaits de distance, de désir, de torture d'eux même ; d'humanité en somme. Maintenant que j'ai fini le roman, j'ai regardé ce qu'Eugenides en dit. Il dit que c'est un roman sur le passage à l'âge adulte ; l'expression me paraît un brin dénué de sens à une époque où cela ne veut plus dire grand chose tant les rites initiatiques se produisent souvent plusieurs fois (plusieurs mariages et enfants de différents lits dans une même vie). Et à chaque fois, l'auteur du choix estime qu'il passe à l'âge adulte et que son mariage et enfants antérieurs étaient "des erreurs de jeunesse". Là aussi, après tout on a des erreurs de jeunesse sous les yeux et de première fraîcheur. 

Et puis il y a la magistrale évocation de la maladie de Leonard. Ce génie bipolaire dont il rend parfaitement (ce que je n'avais encore jamais lu) avec une égale maestria les phases maniaques et dépressives. En le lisant, on traverse littéralement la psychologie du personnage. On doute avec lui, jubile avec lui, craint et redoute avant d'espérer follement. J'ai rarement été aussi touché par la justesse d'une description de troubles mentaux. Il y avait un homme louche de Frnaçois Beaune entièrement centré là dessus puisque c'était le journal d'une personne malade mentale ; là, Eugenides arrive à fondre cela dans le roman et c'est encore plus grandiose puisqu'on a les deux visions du bocal (intérieur et extérieur). Rien que pour cela, il faudrait lire le roman du mariage. Mais on a parfaitement le droit de ne pas être sensible à ce type de douleur ou d'estimer que ça n'a pas sa place dans une oeuvre de fiction (il y a des établissements sanitaires pour ça). C'est pour cela qu'il y a tout le reste, les enfants, les parents, les études et le travail : pourquoi on tisse des liens, pourquoi on en casse, pourquoi certaines décisions semblent logiques, évidentes et on prend les autres ? Au fond, c'est peut être ça : un splendide roman sur le pourquoi de l'âge adulte. Eugenides ne juge pas ses personnages et leurs choix. Il aime trop la vie et la littérature pour cela.

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