12/06/2013
Paradis (avant liquidation)
J'ai d'autant plus goûté la lecture de ce récit de voyage, qu'elle est venue après une trop longue liste de lectures bâclées. Depuis huit jours, je mordais dans des livres mous, spongieux, pénibles à finir. Alors un dimanche, je fonçais chez ma libraire juste avant sa clôture et lui expliquais que j'avais la dalle. Il me fallait de la bonne. J'empoignais un pavé de 1000 pages de Munoz Molina, un essai sur l'extension urbaine et la réédition du 1er roman de Jules Renard. Parfait pour me relancer !
Soudain, je voyais dépasser un livre de Julien Blanc-Gras. Ses reportages dans les coins inconnus de la planète, parus dans le Monde Magazine m'avaient souvent emballé. Je m'emparais du livre et le commençais peu après. Le commençais et le finissais peu après, bien qu'il fasse 250 pages. Mais on ne lâche pas impunément un tel festival. Ce n'est pas un roman et il faudrait vraiment une folle imagination pour produire pareil récit. Il est donc allé aux Kiribati, un archipel d'Ile perdues de chez perdues mais menacées de disparaître à cause du changement climatique et de la montée des eaux. Ca, c'est le prétexte au suspense. Sinon, il se promet de sillonner toute l'Ile, parler au président (il le fera) comme à l'homme de la rue, ce qui est d'autant plus simple qu'il n'y a qu'une. La formule est de lui. Et le livre en est truffé. Blanc-Gras est un infatigable puncheur. Il tient la distance et parvient à ne jamais baisser le rythme des crochets en clins d'oeil et des formules directes. Pour cela, on rit sans cesse. Des malheurs du narrateur à la chambre d'hôtel pourrie, à son regard à la fois tendre et désabusé sur les locaux. La curiosité le mène à parler avec le seul taxi de l'Ile, mais aussi des fonctionnaires de la banque mondiale, des étudiants et autres retraités. On apprend beaucoup, on réfléchit souvent et on se marre toujours.
On réfléchit souvent car Blanc Gras n'est pas un militant du voyage, mais nous fait réfléchir sans le vouloir. A la fois sur nos vanités de standards de consommation car ce n'est pas l'accumulation matériel qui rend heureux ; et à la fois en tordant le cou par la preuve au mythe du gentil sauvage, heureux de vivre en pagne. Le livre est d'autant plus réussi de ce point de vue que Blanc-Gras parvient ce petit miracle de ne jamais juger en n'épargnant personne : ni glorification des locaux, ni accablement des occidentaux, colons ou autres. Il promène ainsi un regard curieux et affamé d'humanité sur une diversité de peuplement de la planète dont on comprend qu'elle est la quête de sa vie. Amen frère Julien, continues ta longue exploration et ramènes nous d'autres récits aussi savoureux.
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