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31/10/2015

Notre trop grande tolérance pour la fraude fiscale...

61183_1394698671_3932-1357312237-fraude-entreprise.jpgJamais, dans l'histoire de la criminalité, le déséquilibre n'aura été aussi fort en faveur de la délinquance en col blanc. Il faudrait que je vérifie si l'on parlait déjà de délinquance en jabot, hier. Mais je ne suis pas sûr, on endormait un peu de gabelle, omettait de déclarer quelques recettes, mais rien de folichon. Et comme dirait Nadine Morano, la fraude fiscale n'existait pas avant que l'on instaure les impôts. Or, l'impôt sur le revenu, l'alpha et l'omega du débat public (alors que c'est loin d'être la première recette de l'Etat...) est apparu il y a un gros siècle, avec un seuil maximal d'1%...

Une histoire relativement récente, donc, mais surtout une histoire invisible. Nous avons du mal à nous rendre compte de ce que nous devons à l'impôt. Si les plus grandes avancées sociales sont le fruit de luttes, les plus grands progrès ont été rendus possibles par la collecte des fruits de richesses produites de façon bien plus conséquentes. Une excellente campagne (ici) déployée par l'Etat australien montre les ravages de la fraude fiscale des entreprises par ce biais là. On voit des champs de ruine qui devraient être des écoles, des hôpitaux et autres que l'on devrait pouvoir collecter grâce à l'impôt des multinationales. Pire, aux Etats-Unis, AirBnB avait même eu l'outrecuidance de lancer une vaste campagne d'affichage publicitaire pour hurler contre les 12 millions $ qu'ils allaient devoir payer en taxes à la ville de San Francisco. Et le géant de l'hôtellerie grise de hurler qu'ils n'avaient pas les services publics suffisants en face de l'argent qu'ils investissaient. Cette suffisance des nantis méritent vraiment des baffes. Et nous n'en sommes qu'au début : le projet ultime de Google est de construire sur la mer un état indépendant, à eux, un Googlestan où les impôts n'existeraient pas. Où l'on voit la belle teneur humaniste des nouvelles utopies... 

On pourrait aller plus loin dans la dénonciation. Il y a peu je me suis écharpé avec quelques amis à propos du Google Impact Challenge. Tous m'ont argué "ouais, mais Google au moins ils donnent". Les chiffres sont têtus : Google a enregistré en 2014 1,7 milliards de recettes fiscales en France et a payé 5,5 millions d'impôts... Ils peuvent bien donner 3 millions derrière, on parle de plusieurs centaines de millions d'euros manquants aux comptes publics qui auraient fait plus de bien au pays et auraient bien plus permis de changer le monde. Mais nous avons perdu cette bataille, collectivement. L'impôt est devenu aveugle et injuste, comme le souligne Sloterdijk. Pire, la justice va dans le même sens ainsi que l'ont fort bien démontré des sociologues qui ont regardé l'ensemble des arrêtés de justice pour les questions de fraude fiscale en France (ici). Cahuzac et consorts ne seront jamais condamnés et pire, jamais même condamnés à rendre la somme qu'ils ont escroqués ! C'est ce que montre très bien Graeber dans son essai récent sur la bureaucratie. Au fond, les libéraux savent que la roulette fiscale est un bon jeu sans danger puisque, coincés, ils paieront toujours bien moins que ce qu'ils ont empoché. Et ils aiment à désigner sans cesse plus les voleurs de pomme comme catalyseurs de nos problèmes. Il faut collectivement refaire de la pédagogie : montrer que nous n'avons jamais produit autant de richesses et que la captation indue par quelqu'uns prive la très grande majorité des progrès auxquels ils ont droit. C'est une lutte compliquée car invisible : l'infraction est moins frappante que le vol à la tire comme l'avait magistralement souligné un photographe italien exposé à Arles cet été et qui avait passé du temps dans les paradis fiscaux. Une lutte compliquée, mais indispensable.