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19/11/2015

Abnousse Shalmani, essence de France

cover.jpgLa première fois que j'ai rencontré Abnousse, je l'ai trouvée franchement exaspérante. Elle me coupait la parole, n'écoutait pas religieusement mes doctes analyses, se resservait du vin et allait fumer à la fenêtre. Une vraie tête de mule. C'est bien simple, on aurait dit moi. En femme. Et puis, on s'est revus et avons progressé : nous nous coupions mutuellement la parole, nous resservions des verres, le pied quoi. Et je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas lu son livre, sorti en octobre 2014. Deux mois avant Charlie, 1 an avant l'horreur de vendredi dernier. Je l'avais cherché dans quelques librairies (il avait connu un succès fort honnête pour un premier livre) mais sans succès et comme je me refuse à aller sur Amazon, je ne l'avais pas. Et puis il est arrivé hier dans ma boîte aux lettres, comme par enchantement. Et je l'ai lu d'une traite, avec ravissement.

Si  Jean-Paul Dubois a bien écrit "un roman français" Abnousse Shalmani a signé dans ce récit une lettre d'amour à l'esprit français. Un esprit libre et critique, jouisseur et joyeux. Dans les temps troublés que nous vivons, il faudrait demander à le réimprimer d'urgence en poche et le diffuser chez tous les scrogneugneus, tous les obscurantistes, tous les déclinistes, et deux dernières catégories essentielles. Ceux qui pensent que l'immigration est un problème, ceux qui pensent qu'on peut discuter avec ceux qui font de leur foi un projet politique. Née à Téhéran, Abnousse a montré ses fesses de petite fille à tous les mollahs, a senti une colère monter contre les barbus qui ne voulaient pas qu'elle soit leur égale.  

A 8 ans, elle débarque en France et subit le déclassement social. Pour autant, elle ne se plaint pas, au contraire. Elle découvre notre langue et nos auteurs et les apprend mieux que nous. Oui oui, honte à moi, mais c'est donc la môme de Téhéran qui m'a fait découvrir la féministe Hubertine Auclert, restée dans l'histoire pour la 1ère grève de l'impôt pour motif civique "je ne vote pas, je paye pas". Elle me parle aussi de Sade comme le dit le titre, de Diderot, de Zola et de Victor Hugo, de Louise Michel, Olympe de Gouges, Madame de Maintenon et surtout Merteuil dont elle voulait faire, nonobstant la forte opposition de sa prof de lettres, une héroïne.

Ce récit est ce que j'ai lu de plus français depuis des années, une ode à la liberté, à la curiosité, à la discussion. Internet m'apprend que Rezvani aussi est né à Téhéran. En l'occurence, Abnousse me fait penser à Rezvani en jupons : même lyrisme, même exaltation et quête d'absolu, même sens de la démesure. Le passage le plus émouvant de son livre ne concerne pas des conversations religieuses, mais un souvenir d'elle étudiante fauchée, vraiment fauchée et sans parents pour pallier. Elle arpente le marché aux livres anciens Georges Brassens (où mes parents m'ont offert tant de livres) et tombe sur une édition originale de Pierre Louÿs, son idole - dont elle ne méconnaît en rien l'antisémitisme, les opinions politiques et autres tares, c'est le styliste qui l'a séduite. Si elle l'achète, les quinze derniers jours du mois seront sans viande, sans beurre et peut être même, avec moins de pâtes. Peu importe, elle prend le livre. C'est peut être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup : la groupie du styliste, c'est beau comme elle est.