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30/09/2016

"Responsable mais pas coupable", une histoire française

hfaute1.pngVoilà maintenant 30 ans, la ministre de la santé Georgina Dufoix prononçait une phrase qui structure aujourd'hui encore notre rapport à l'impunité. Dans l'affaire du sang contaminé, la ministre s'estimait "responsable mais pas coupable". Elle refusait ainsi de reconnaître que l'épidémie sanitaire puisse remonter jusqu'à elle, renvoyant la faute à la pyramide existant entre les malades et elle même. Etonnant, dans la mesure où elle s'est battue avec une énergie folle pour parvenir au sommet de cette pyramide. Je ne dis pas qu'elle a tué les malades sciemment, mais elle a voulu arriver "aux responsabilités"  et non les assumer par la suite. Elle n'est pas seule dans ce cas. L'immense majorité de nos grands dirigeants ont bataillé âprement pour arriver là où ils sont, mais refusent depuis leurs cimes d'endosser la responsabilité qui est la leur quand la tempête arrive... Et derrière, ce sont les mêmes qui vous expliquent des histoires sur les droits et les devoirs... Guère tenable.

La dernière illustration de cette histoire a bénéficié d'une heure d'antenne de grande écoute, merci Elise Lucet. L'enquête d'Envoyé Spécial sur Bygmalion éclaire d'un jour nouveau le scandale politico financier de 2012. Aucun doute possible, aucune insinuation, aucun "il se serait produit cela". Non non, froidement, cliniquement, inlassablement, toutes les factures ont été dévoilées, la double facturation établie au grand jour et tous les soupçons évanouis. 18 millions de double facturation intégralement partis dans le financement de la campagne. Le responsable des meetings de Sarkozy, Franck Attal, ne cache rien et avoue même les 600 000 euros de prime qu'il a empoché en fin de campagne. Rien de plus à trouver, fors le coupable de tout le barnum. Eu égard aux sommes en jeu il est impensable, inconcevable, que cela ne remonte pas très haut. Tout en haut. Comment croire que des pros de l'événement, acceptent d'engager des sommes qui dépassent leurs revenus sur une décennie sans garantie ? Comment croire que Sarkozy dont c'était la seconde campagne présidentielle a réellement pu ne constater aucune différence avec la première ? Le doute n'existe plus, mais ça n'est pour autant qu'il tombera, judiciairement. Pour cela, il faudrait qu'il confesse sa responsabilité et de Georgina Dufoix à Jérôme Cahuzac en passant par Chirac et Pasqua, l'histoire politique française est faite de grandes esquives. Le privé suit la même pente à très haut niveau, seuls Bernard Tapie et loïk Le Floch Prigent ont été lâchés, mais la plupart du temps, le lynchage n'est pas la norme... Demandez à Didier Lombard, PDG d'Orange qui avait nié le climat social pourri chez lui en parlant de "mode des suicides". En prison ? Non non, administrateur de ST Microelectronics avec jetons de présence à six chiffres... 

Dans le médico-social, on peine à recruter des directeurs à cause des trop grandes responsabilités juridiques à supporter. Idem pour les petites usines. Les patrons de bar redoutent le jour où un client alcoolisé tuera quelqu'un en voiture en sortant du bar... Partout, la judiciarisation de la société s'étend. Le nombre d'avocats en France n'atteint pas encore les sommets américains, mais la déferlante est là et la fièvre du contentieux n'est pas près de retomber. Les décisions peuvent briser des vies, des destins, de pauvres hères victimes d'une méconnaissance bien compréhensible, d'un corpus juridique tentaculaire. En face, des erreurs monstres commises par ceux qui sont pourtant accompagnés d'un bataillon de juristes n'entraîneront jamais leur condamnation précisément parce que le bataillon de juristes se charge de trouver les failles textuelles qui protègent leurs héros. L'accroissement de l'écart entre ces deux extrêmes, la violence d'une logique qui traque de plus en plus les voleurs de pomme et n'arrive pas à coincer les voleurs de forêts de pommiers, tout cela concourt à fracturer le pays plus lourdement qu'une réforme fiscale, des retraites ou de l'éducation. L'égalité devant la justice, la fin du "eux" et "nous" n'est pas une lubie ou une utopie : ne perdons pas le Nord, mais regardons plutôt par là. Ils y arrivent, eux.