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05/10/2016

Audience sans influence n'est que ruine. Tout court...

iStock_000005996988Small11.jpgLundi nous avons appris, médusés collectivement, hallucinés collectivement, que Madame Kardashian Kim a une audience cumulée de 160 millions de personnes sur les réseaux sociaux. 160 millions. Plus de deux fois la France, plus de la moitié des Etats-Unis. Plus de 160 fois l'audience cumulée de Libération... 

N'en jetez plus, il est aisé d'écrire à la suite de cet incident "cours camarade avides de faits et d'informations vérifiées, le vieux monde est derrière toi". La modernité c'est l'audience qui donne accès à tout. Peu importe le flacon émetteur pourvu que l'ivresse chiffrée se répande. Et nous saoule de liqueur réactionnaire.

On est jamais loin, en l'espèce de se renfrogner et de se replier sur le "c'était mieux avant". Finkielkraut aujourd'hui, qui déplore que la parole d'un rappeur vaille celle de Patrick Boucheron. Eric Zemmour aussi le déplore en ajoutant qu'hélas, le rappeur dépasse désormais Boucheron car les chiffres sont considérables. A cette aune Zemmour dépasse Badiou. Respirons un peu. Ca n'a rien de nouveau, il y a 40 ans, le grand Jean-Patrick Manchette déplorait déjà dans son journal "qu'aujourd'hui, avec la télévision, le pétomane et Flaubert se valent. Et demain l'avantage sera au pétomane". Rien de neuf, donc.

Les courroies de transmission sont plus globales, synchronisées, plus folles. Jerry Lewis aurait adoré Youtube, Churchill se serait délecté avec Twitter et Wharol aurait raffolé d'Instagram. Et un paquet de tocards inconnus contemporains de ces géants leur seraient passé devant en audience. Mais quid de l'influence ? Qu'il nous soit permis d'en douter... 

En littérature, personne n'a égalé les ventes de Guy des Cars et combien en lisent ? Combien de grands critiques en parlaient, le recommandaient ? Personne. Des Cars se vendait exclusivement en bouche à oreille, avec ses thuriféraires et sans effort et sans conséquence. Il a vendu, il a disparu, on en parle plus.

En politique, on confond trop souvent popularité et électorabilité (pardon pour les puristes). Jean Lecanuet, Bernard Kouchner peuvent en témoigner. Emmanuel Macron finira par comprendre que c'est une loi d'airain.

Madame Kardashian s'inscrit dans cette mouvance. La seule différence est que son auditoire immense repose sur un vide sidéral. Ni artiste, ni sportif, ni politique ni figure économique, elle est la tête de gondole la plus emblématique du creux de l'audience. Comme le disait Guillaume Erner sur France Culture, "La conscience commune s’est émue de ce vol, alors que la conscience commune ne s’est pas émue qu’une personne sans profession autre que la gestion de sa célébrité, ait pu rassembler un patrimoine d’au moins 9 millions d’euros. Ce qui prouve une fois de plus que le vol est beaucoup plus sévèrement jugé dans notre société que l’imposture qui passe, et qui n’est même pas dénoncée". Si c'est aussi bien accepté c'est que, pour une fois, il s'agit d'un début de revanche du lumpen prolétariat sur le capital : ils sont célèbres sans demander la permission, sans passer par les canaux officiels du capital mais en s'auto-promouvant directement. Quand EnjoyPhoenix devient une star avec des millions de jeunes filles qui suivent ses conseils de beauté diffusées en ligne, elle n'a pas passé d'entretiens et de partenariats, elle parle la foule suit... Et le capital récupère, la rattrape en monétisant sur son dos et en organisant des événements grassement rémunérateurs, autour de son minois. La seule différence c'est donc la déprolétarisation, on peut presque y lire une victoire. Presque...

Pour revenir à l'audience et l'influence. Madame Kardashian en a t'elle tant que cela ? Après tout, seuls les chatons bondissants peuvent rivaliser avec elle pour le delta étonnant entre célébrité et "mérite". Mais justement parce qu'elle n'a aucun mérite, qu'elle n'a pas conquis ses fans sur des actions ou des propos, elle n'a pas d'influence. Oprah Winfrey, elle, tire son influence de l'immense affection que lui prête ses fans qui jugent qu'elle est la meilleure intervieweure du PAF. Alors quand elle écrit un tweet pour vanter les mérites d'un appareil de cuisine de SEB, l'action de la marque grimpe de 100 millions $. Ca c'est du lourd. Comme la parole de certains acteurs appelant au boycott, comme George Clooney réussissant à imposer la tenue d'un référendum de partition au Soudan. Madame Kardashian serait-elle crédible si elle appelait au boycott d'une marque ? Si elle s'engageait aux côtés de Donald Trump ? Changerait-elle des votes. Son impact ne serait peut être pas d'un zéro absolu, mais guère éloigné. Comme sa mésaventure ne changera pas la donne pour le tourisme en France, d'ailleurs les médias américains ont été bien plus futés que les français, sur le coup. 

Une société sous influence, ça n'est pas un projet joyeux et égalitaire, mais c'est toujours moins inquiétant que la seule emprise de l'audience, qui n'est pas encore là. Obama peut couper Facebook, pas l'inverse. (Pour l'instant...)