06/04/2017
Chassez l'establishment, il revient au galop
Rien ne se passe comme prévu dans cette élection, mais tout se commente comme d'habitude. Le décalage est patent entre un fond de la campagne plus que frénétique et le récit bonhomme, patelin, qui en est tiré. Jamais une campagne n'a été autant couverte, autant suivie, mais on ne peut pas dire que la qualité soit au rendez-vous de cette emprise totale. D'abord, l'abstention mesurée (la seule abstention qui comptera sera celle vraiment observée les 23 avril et 7 mai) semble dépasser des records historiques et force est de constater que ça n'est tout bonnement pas un sujet.
Un tiers d'abstentionnistes déclarés n'empêchent pas nos éditorialistes et autres de finir leurs analyses sans en tenir compte autrement que "on note un gros niveau d'abstention, on la redoute, reste à savoir à qui elle va profiter". Et là, les bras vous en tombent. Admettons que l'on atteigne ce score de 35% d'abstention, plus du double de ce que l'on a eu en 2007, 15% de plus qu'en 2012, cela mériterait tout de même un traitement particulier. Pourquoi pas adapter les règles d'égalité du temps de parole avec l'abstention en organisant des grandes soirées électorales pour donner la parole à ceux qui ont décidé de s'abstenir, qui revendiquent un vote blanc, une abstention militante. Après tout, il y a de grandes chances que l'abstention finisse premier parti de France, il n'y aurait rien de choquant à ce que l'on consacre plusieurs grandes soirées électorales aux raisons du doublement de non mobilisation partisane alors même que l'offre est pléthorique. 11 candidats et autant de français qui se sentent non concernés, ça mériterait bien que l'on se prive d'Emmanuel et Brigitte Macron en couverture de quelques hebdomadaires, de quelques éditoriaux sur les ralliements de tels et tels du PS à un candidat ou d'émissions vibrantes d'ennui sur "que vont faire les sarkozystes ?". Le dégoût des partis traditionnels et des solutions néoclassiques n'interroge juste personne dans les grands médias. C'est hallucinant. L'indécision électorale, ça oui, ad nauseam parce que ça les affole le fait que la course de petits chevaux soit plus animée que d'habitude et ça occupe "vers qui se reporte les défections d'Hamon ?", "à qui profite le Pénelopgate" bla bla bla.... On adore commenter ces mouvements dans les marges, mais le ras de marée abstentionniste, que dalle. Malsain.
Ensuite, le niveau inouï de suspicion à l'encontre de deux candidats avec des affaires ne fait plus débat depuis environ un mois. Bien sûr, il est pénible de ne parler que des enquêtes en cours plutôt que de leurs programmes, m'enfin la responsabilité en revient à ceux qui se présentent malgré le tombereau de faits accablants qui arrivent chaque jour. Ce matin sur France Inter, Fillon expliquait tranquillement qu'il y avait nombre de questions auxquelles il ne souhaitait pas répondre. Sur ses économies, son patrimoine, son train de vie. Voilà un homme qui a gagné 24 000 euros par mois depuis 5 ans et qui n'a pas un euro de côté sur sa déclaration publique. Ca peut à minima intriguer. Ajoutez à cela qu'une part importante de ces subsides sont issus de conférences données pour des ploutocrates russes, ça mérite qu'on en cause. Que Fillon ne souhaite pas commenter ces révélations, on le comprend, que Patrick Cohen ce matin, comme Namias hier et sans doute Pujadas une autre fois, ne relancent pas à la manière de certains journalistes anglo saxons, ça n'est tout bonnement pas audible. Suite à l'algarade bien légitime de Philippe Poutou, nombre de commentateurs (tous ceux de C dans l'Air, Anna Cabana sur BFM et d'autres) ont trouvé le candidat ouvrier grossier. On se pince devant cette inversion de la réalité. Mais prière de ne pas déranger pendant la campagne, Fillon c'est la droite républicaine et donc on commente jusqu'au bout son programme et on ne parle plus de Pénélope et des enfants...
De même, les responsables du FN n'ont généralement qu'à balayer mollement d'un revers de main les questions concernant le détournement manifeste de fonds européens. Une question et puis s'en va... Pire, les commentateurs avancent, résignés, que "cela ne décourage pas les électeurs FN". Et alors ? Les dernières révélations du Canard montrant que David Rachline, directeur de campagne de le Pen, a touché des revenus de la Région Hauts de France alors même qu'il est maire de Fréjus, ça vaut bien quelques relances. Essayer au moins ! Mais non, abandon en rase campagne pour poser des questions sur le nombre de fonctionnaires ou le niveau de vie après la sortie de l'euro... Hors affaires, il y a d'autres questions à poser aux responsables FN : 76% des français sont opposés à la préférence nationale, proportion en hausse constante et là encore, avez vous entendu des questions là dessus ? Inouï... Inouï est d'ailleurs sans doute le terme qui désigne le mieux ce décalage entre la campagne à laquelle nous assistons tous et la glose qui nous est servie. Celle-ci nous dit juste, au fond, qu'alors même qu'ils sont idéologiquement et politiquement conspués de toutes parts, les membres de l'establishment sont tout bonnement incapables de l'admettre et d'en tirer des leçons. Navrant...
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