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17/04/2017

La campagne des âmes seules, vers un hiver démocratique ?

1019984586.jpgDans la dernière ligne droite la seule certitude que l'on a, c'est que l'on ne sait rien. Ni du second tour, ni vu vainqueur. Les quatre pôles se figent à un niveau inédit de proximité en termes de poids électoral : un bloc libéral conservateur, un libéral progressiste, un bloc souverainiste réactionnaire et un bloc de renversement social. Chacun pèse à peu près 20% des voix, soit 8 millions d'électeurs. Pourtant, plus que dans toutes les élections précédentes, ces quatre blocs sont incarnés par une seule personne, le(a) candidat(e). 

On nous opposera que c'est le propre de la présidentielle, rencontre d'un homme et d'une femme avec le peuple de France, comme le veut le cliché. Pour autant, Hollande a gagné en montrant une foule de soutiens (politiques, culturels, sportifs, intellectuels) incroyable au Bourget, en 2012. Sarkozy idem avec Versailles 2007. Et ainsi peut on remonter dans le temps, sans doute jusqu'à Giscard. Chaque fois, les candidats guignaient des pétitions, des manifestes ou plus bêtement de photos pour s'afficher aux côtés de soutiens. Lesquels sont portés disparus cette année. Les artistes ? Ou sont passés Johnny, Enrico Macias, Juliette Gréco, Depardieu Cali, Pierre Arditi et autres ? Out. Qualitativement, on en s'en plaindra pas, mais pour qu'ils se sentent non désirés c'est que le climat est délétère. Politiques, ensuite ?  Ou sont passés les lieutenants, fors les obligations médiatiques puisque les candidats ne peuvent se dédoubler face aux caméras ? Out. Dans les meetings, dans les images rapportées, dans les tribunes, seuls les candidats sont là. Signe patent de la mort des partis. On se fout des N°2,3,67 des formations respectives. Il y a bien quelques intellectuels qui ont accepté de se prêter au jeu, notamment Thomas Piketty, Julia Cagé ou Jacques Généreux, mais  ils apparaissent plutôt comme des soutiens un peu technos et ennuyeux. Les quelques tribunes dans la presse de "nous économistes avec Macron", "nous, patrons avec Fillon" ressemblent à du crachin breton.

Difficile d'y lire autre chose qu'une défaite pour la démocratie. 32 millions d'électeurs résumés à 4 personnes. Une logique de plus en plus grégaire. Et difficile à inverser. Car tous les intermédiaires entre les candidats et les électeurs traversent une sale passe. D'où le bug. Le seul à avoir tenter de se montrer moins seul, c'est Macron car le procès de sa solitude était patent. Les clics d'En Marche ! ne font pas des militants et le côté ni droite ni gauche renforçait la suspicion alors il a scénarisé les ralliements à sa cause. Jusqu'au grotesque. Au départ, le soutien en direct à la télé de Bayrou il y avait quelque chose d'épique, qui cimentait sa campagne en lui conférant la position centrale. Par la suite, on a l'impression que les transfuges du PS ou LR prenaient leur carte comme d'autre un ticket au guichet de la sécu en attendant qu'on leur désigne la télé ou la radio où aller annoncer son soutien. D'où le déclin progressif des bénéfices liés au soutien après celui de le Drian par exemple. Pire, cette politique s'avère extrêmement contre productive dans la dernière ligne droite : l'establishement est tellement en capilotade que toute parole institutionnalisée vous veut du mal. De BHL à Hollande, ceux qui nous expliquent que c'est Macron ou le chaos sont tellement démonétisés qu'il est tentant de prendre la direction contraire à celle qu'ils indiquent. Pour vivre la campagne heureux, vivons la caché de nos soutiens....

Les amateurs de solutionnisme technologique vous diront "mais non, cette campagne se déroulent sur les réseaux sociaux, il y a des millions de soutiens". Tu parles, Charles, c'est encore pire. Des millions de messages reprenant la parole officielle, ça ne s'appelle pas le sursaut démocratique, mais la dictature numérique. Tous les phénomènes de riposte numérique agressive sont néfastes. Force est de reconnaître, hélas, que les thuriféraires de Mélenchon sont les pires de tous. Des nervis fous de colère, prêt à déverser des torrents de boue. L'épisode Johan Sfar de ce week-end ne grandit pas l'Insoumission. Le dessinateur avait émis une critique assez justifiée de la prestation de Clémentine Autain qui découvrait le programme de son candidat en direct à la radio, ce qui pour une porte-parole est ennuyeux. Critique sévère, doublée d'un abandon de vote. Et vue l'audience de Sfar, ça pouvait avoir des conséquences et entraîner quelques autres votes en moins pour Mélenchon. Il n'en fallait pas plus pour que des centaines de trolls l'agonissent d'injures dans un mélange de mauvaise foi, de syntaxe approximative et de relents antisémites dégueulasses. Effrayant. Bien sûr, ça n'est pas Mélechon lui même, ça ne sont même pas les équipes de la France Insoumise, mais ça en dit long sur le niveau d'exaspération folle du pays de bataillons prêts à suivre aveuglément une personne seule. Et nous faire basculer dans un régime non souhaitable.

Depuis quelques années la démocratie a mal partout. Les démocraties illibérales fleurissent de Hongrie en Pologne. La glaciation russe n'est rien à côté du repli rapide et ultra inquiétant de la Turquie. Partout, les grands ensembles ont du mal avec le dialogue avec leurs administrés. D'où le fait que les candidats pro européens soient peu audibles dans la campagne, attendu que l'UE est l'instance la moins démocratique qui soit, elle qui s'est assise confortablement sur la baffe du TCE, en mai 2005. Le dialogue politique passe beaucoup mieux dans les villes. De Saillans à Porto Allegre, de l'Islande (état-ville, vu sa population) à certaines bourgades d'Italie du nord, les décisions se prennent mieux à un niveau infra. Pour une raison simple : on voit ce que l'on fait. Infrastructures, éducation, santé, environnement, les décisions locales se matérialisent concrètement pour les administrés, difficile de dire que la même chose se produit en France. D'où notre défiance vis à vis de l'impôt : nous ne voyons pas les professeurs, les soignants, les pompiers, les juges, les grands travaux, les festivals, tout ce qui se créent de commun avec la contribution de nos richesses privées. 

Le malheur de cette élection 2017 est le gouffre entre l'attente qu'elle suscite et la déception qu'elle provoque. 11 millions de français qui se cognent 4 heures de débat, qu'on ne nous dise pas que nous ne sommes pas une nation politique ! Nous nous emballons, mais avec 30% d'abstentionnistes annoncés et des chiffres records de vote par défaut ou par dépit, on peut déjà annoncer en étant sûr de ne pas se tromper que le grand perdant de l'élection est la démocratie. Et que la tournure actuelle des autres régimes démocratiques n'incite pas à croire qu'elle sera réenchantée après l'élection. Le vainqueur du 7 mai n'aura pas obtenu tellement plus de 20% au premier tour. A part Fillon, aucun ne peut se vanter d'une majorité législative acquise. Ce qui risque de pousser au césarisme. Tristesse ! Allez, plus que six jours...