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14/08/2017

Briser le tabou de la limite

limite.jpgCe matin sur France Culture, Lucas Menget désignait l'éléphant dans la pièce, concernant notre ébahissement collectif pour le tourisme : "Pour des raisons écologiques, ne va t'on pas assister à une baisse du tourisme ? Avec une forte hausse du prix des trajets en avions, seules les personnes aisées continueront à voyager beaucoup". Réponse de Jean Viard, notre grand spécialiste de la sociologie du tourisme : "non, on ne pourra pas aller en arrière, il faut continuer à démocratiser le tourisme". Voilà, en un échange, résumé l'impasse du progressisme démagogique et des faux semblants du libéralisme contemporain englué dans l'ultra court terme : mettre des limites, c'est imposer un retour en arrière. Non seulement c'est un sophisme, mais ça sera mortifère pour le genre humain. 

En réalité, il n'y a pas à tergiverser une demie seconde, c'est Menget 1 / Viard 0. A la rigueur, on peut s'autoriser, si l'on est facétieux, la réponse Claude Allègre, scientiste en diable et dire que demain tout le monde voyagera en avion propulsé à l'énergie solaire. Mais eu égard à l'avancée du réchauffement climatique et à la vitesse de déplacement d'un avion solaire aujourd'hui, il faut assumer de passer pour un imbécile. De toutes façons, ça n'était pas la réponse de Viard, lequel se réjouissait que l'on continue à déverser des milliers de tonnes de kérosène dans l'atmosphère au motif que ça serait "le fil de l'histoire". S'opposer à cela, pas par principe, mais au nom de la survie de la planète, vous fait passer pour un amateur de la bougie. Pire, on vous fait passer pour un "bobo" qui peut continuer à voyager, lui et veut "punir les pauvres". Avant que vous ayez le temps de vous expliquer et de montrer, en réalité, que ça sont les riches qui détruisent les planètes pour reprendre la formule d'Hervé Kempf (90% des émissions de CO2 causées par les 10% les plus riches) et que les pauvres sont les premières victimes du réchauffement climatique, on vous oppose la reductio ad bobotum, sorte de blâme définitif. Tristesse... 

L'impératif écologique n'avait pas été prévu par le logiciel libéral au XIXème, lequel refuse de reconnaître son erreur depuis. Il n'y a pas que le tourisme qui fasse buger cette pensée, notre alimentation actuelle nous mène au chaos climatique. Le PDG de Danone l'a d'ailleurs reconnu il y a peu "nous ne pouvons continuer à produire de la sorte" ; reste à voir s'il acceptera le poids de ces propos, à savoir cesser de chercher des matières premières à un bout de la planète, les assembler à un autre pour les vendre dans un troisième... Comme le montre le journaliste Jean-Baptiste Malet dans son livre "l'empire de l'or rouge", les chinois pillent et exploitent l'Afrique pour produire un succédané de tomates dont ils inondent l'Europe avec des étiquettes "made in Italy". Dire qu'il s'agit d'un suicide humain, dire qu'il faut mettre des limites, des barrières douanières, revenir aux circuits courts, et les libéraux dégainent à nouveau le reductio ad bobotum : on renverse la charge de la preuve pour faire de vous des ennemis des précaires. Après tout, cet infâme brouet rouge africo-chinois estampillé transalpin, il est moins cher, non ? Vous vous opposez à la nourriture low cost ? Vous voulez donc qu'ils meurent de faim...

Leur ruse rhétorique est faible et toujours la même. Il faut accepter de dire qu'on doit dépenser plus pour se nourrir, pour se chauffer, pour se vêtir convenablement. Refuser le low cost. Quand on nous opposera que c'est une lubie avec le procès en boboisme, notre réponse est là : dans les années 60, on dépensant 35% de notre budget pour se nourrir, 20% aujourd'hui, c'est ça qui est indécent. On doit correctement se nourrir, se chauffer, retrouver le sens des grands équilibres et faire passer les besoins primaires en amont. N'oublions pas que dans le même temps, les dépenses de logement ont explosé : les familles consacrent une part de plus en plus importante et même étouffante pour se loger. Si l'on peut acheter un pull de moins et limiter les repas où l'on s'autorise du magret, avoir un toit sur la tête reste, en théorie, un droit fondamental (d'ailleurs consacré par le DALO), lequel est menacé par la seule spéculation immobilière. Laquelle spéculation est encouragé par la même logique d'absence de limite. Souvenons nous des cris d'orfraie face à la mesure, pourtant modérée, de Cécile Duflot de limiter les loyers, de les plafonner. Non pas, comme l'exigerait la décence, de les faire refluer, baisser, d'ordonner un reflux de cette bulle immobilière. Juste, mettre fin à la folie. Même ça, ça les avait chagriné. Il y a pourtant un moment où ils devront s'y faire pour la survie du genre humain et pour l'amélioration des conditions de vie de 99% de la planète.