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28/12/2017

Un robot gynéco, est-ce que ce progrès est sérieux ?

Dans cette période d'accalmie dans le traitement de l'info, le lecteur en vacances peut prendre le temps de lire les papiers de fond. Deux papiers sans rapport direct m'ont particulièrement interpellé : l'un sur la pénurie de gynécologues en France et l'apparition du premier restaurant où les serveurs sont des robots, en Inde (à Chennai). Sans rapport parce que le premier cas évoque des personnels ultra qualifiés dans un pays très riche, le second des personnels non ou peu qualifiés dans un pays pauvre (les papier sur " l'Inde 5ème puissance du monde, déclin de la France ?" qui ne commencent pas par évoquer le rapport de population de quasi 1 à 20 entre les deux, sont dérisoires...). Dans ma tête les deux se sont télescopés et je frémis désormais à l'annonce d'un marcheur enthousiaste (pas forcément Buzyn, plutôt un Castaner ou un Griveaux) l'annonce de la fin de la pénurie de gynécologues grâce au remplacement par des robots...

J'entends déjà leur argumentaire implacable : "face aux déserts médicaux, les robots sont la bonne solution, ils vont là où on leur dit". "Face aux attentes infinies, idem, les robots peuvent consulter de 8h à 20h tous les jours, dimanche compris. Il suffira d'une assistante pour faire tourner le cabinet, pas un souci". "Les gynécos sont une des spécialités qui se rend le plus coupable de dépassements d'honoraires, les robots accepteront le tarif sécu". Alors mesdames, l'est pas belle la vie ? 

J'exagère, bien sûr, mais à peine. Ayant travaillé sur des ateliers de réflexion sur la santé du futur, tous les spécialistes, tous les acteurs, appelaient au développement de la télé médecine pour lutter contre les déserts médicaux. Pas de cardiologue quand on est dans la Creuse ou en Limousin ? Plutôt que de faire 150 km, une bonne petite consultation par Skype, et hop, pas de souci. Et ceux qui me disaient ça n'était pas à proprement parler des fanatiques de la robotique, juste des "pragmatiques" estimant que cela irait beaucoup plus vite plutôt que de chercher à faire venir des médecins dans ces territoires. La limite des objections était technique et là aussi "pragmatique", les mêmes territoires où les services publics se raréfient sont également ceux où les infrastructures réseaux sont les plus faibles. Or, une consultation numérique, bizarrement, exige un réseau internet de qualité... Si ça n'était si tragique, j'en rigolerai volontiers. 

Car le solutionnisme si bien dépeint par Evgeny Morozoz a envahi l'esprit de nos chers dirigeants actuels. Pas par idéologie, mais par commodité, par facilité, par abandon de la politique. "Il n'y a pas de musée à côté de chez vous? Allez sur Google Museums ! Pas de théâtre ? Vous trouvez des pièces fabuleuses sur Youtube, mais aussi des concerts, de la danse, tout ce qu'on veut. Tant que la neutralité du net ne tombe pas, vous pouvez même vous l'offrir, de quoi vous plaignez-vous ?". Sans changement majeur, on y viendra. Autant la robotique permet des choses incroyables, inouïes, impensables il y a encore 10 ans en termes de micro chirurgie, autant remplacer la fonction humaine, la relation humaine en médecine relève de l'Enfer pire que celui de Dante... 

Pour revenir au premier problème, la pénurie de gynécologues, c'est un cas emblématique de manque de courage politique, d'absence de contraintes et de vision mandarinale. Le mathusianisme inepte du numerus clausus médical n'a été bougé par aucun gouvernement depuis vingt ans, nonobstant l'explosion des inégalités de santé avec des exemples sidérants (un an pour avoir rendez-vous avec un ophtalmologiste dans certaines régions...). Aucun n'a eu le courage de dire que le progrès passait par de l'investissement humain (et de ce point de vue, la baisse de salaire pour les heures de nuit à l'AP-HP à compter de 2018 relève de l'insulte...) plutôt que technologique. 

La pénurie de gynécologues, c'est une broutille, qui concerne cette minorité qui constitue 51% de la population française. Ce sont des milliers de femmes qui renoncent à un suivi faute de praticiens disponibles, et des dizaines de milliers d'autres qui renoncent faute de moyens (la gynécologie étant une des spécialités qui explosent le plus allègrement les tarifs sécus, la pénurie d'effectifs n'étant pas sans rapport avec ces abus...). La 5ème puissance du monde, un pays riche comme nous, peut peut être avoir une plus haute opinion de ce quoi doit être le progrès au 21ème siècle...