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29/10/2018

Ceci est une crise du partage

La gueule de bois démocratique mondiale ne partira pas avec deux Doliprane. Après Duterte, Trump, Erdogan, voici Bolsonaro. Une poignée de mâles sexa ou septuagénaires incarnent le renouveau d'une extrême droite que l'on dit populiste et identitaire. Ca n'est évidemment pas faux. On peut avancer beaucoup de raisons très classiques à leurs succès : rejet des "élites", marre de la tiédeur des réformes, peur sécuritaire et identitaire, sentiment d'abandon, colère face à la corruption. Tout cela est vrai et nous, les opposants à ces néo fachos, ferions bien de faire notre devoir d'inventaire pour nous rendre compte que nous avons failli à partager. 

Nous vivons une crise du partage et dans une vie politique rythmée par les élections, le camp des partageux est plus compliqué à rassembler que celui de ceux qui veulent tout garder. D'abord le pouvoir. Nous n'avons pas su le partager, faire vivre la démocratie en impliquant davantage les citoyens, les contre pouvoirs, la société civile, appelez ça comme vous voulez. Nous avons conservé l'écrasante majorité des postes à une petite caste, à peine renouvelée par des alternances politiques (LREM inclus). Chacun de ces clans a promis de gouverner ensemble et c'est replié. Trump comme Bolsonaro n'ont rien promis de tel : ils ont dit qu'ils allaient cheffer et les électeurs ont suivi pour ça. Trump en fait même l'argument des midterms "le problème est qu'il n'y a pas mon nom sur le bulletin. Les gens veulent mon nom. Moi, je suis populaire". 300 millions de personnes, 1 gus, mais qui paradoxalement représente mieux sa base que le représentant ou la représentante du camp d'en face. Le récit de l'homme blanc menacé par l'arrivée d'immigrés voleurs, de femmes arrogantes, de LGBT conquérants et de musulmans fourbes (tous adjectifs interchangeables, vous voyez l'esprit) galvanise sa base. En face, nous nous divisons sur des questions de représentations, de courants, de tendances, de groupes. Dès que l'un de ceux ci se sent lésé, il se désolidarise un peu et c'est le moment choisi par le bulldozer populiste pour tout enfoncer. La rhétorique du barrage au pire ne marche plus. On ne peut pas rassembler des écologistes, des socialistes, des militants des droits des minorités, ceux qui veulent davantage d'Etat et autres mouvances réclamant un progrès parcellaire, au seul son du "unis sinon le déluge". Ca n'est pas qu'on préfère le déluge, mais on a son petit orgueil.  

Nous avons failli à partager les terres et l'espace. Les premières victimes des folies du modèle libre échangistes sont les terres agricoles. Nous ne y sommes pas opposés, avons ringardisé et craché sur les zadistes, dit qu'il fallait vivre avec son temps. Là encore, division. Les bulldozers Trump et Bolsonaro s'engouffrent et donnent les terres à leurs potes ploutocrates qui pillent l'écosystème, assassinent la biodiversité, les lacs et l'Amazonie, déversent des produits mortifères sur et dans les sols. Cela sera plus dur à réparer que la démocratie... Et sur les terres, nous n'avons pas voulu accepter des mouvements millénaires de populations au motif que cette fois-ci les arrivant n'avaient pas la bonne couleur ou la bonne religion. Nous nous sommes raidis collectivement devant l'immigration, avons fait nos mijaurées. Là encore, open bar contestataire pour ceux qui ne s'embarrassent pas de nuances et parlent de morts aux réfugiés. 

Enfin, et le tout est lié, nous avons échoué à partager les richesses. Les chiffres sont toujours plus fous mais les occupants d'un bus (60 personnes) possèdent autant que 3,5 milliards d'individus. L'engraissement sans nom des milliardaires (encore +19% de leurs fortunes en 2017) se fait au détriment d'une éducation et une santé de qualité pour tous. Et une sécurité aussi. On parle beaucoup de questionnements sécuritaires, en ce moment, lesquels ne touchent pas les nababs qui vivent dans des villes où l'on remet des herses comme au Moyen Âge. 

Nous avons perdu la bataille des idées et le Commun se fait enfoncer par l'individu. Essayer de répliquer par des individus vertueux est perdu d'avance, "ni Mark Zuckerberg, ni Oprah Winfrey ne nous sauveront" écrivait avec justesse Naomi Klein. Les victoires actuels sont le va tout du modèle capitaliste individualiste. Ces nouveaux nababs fachos jouent tapis et une grosse part du peuple les suit comme on met ses économies à la roulette. Ils veulent eux aussi quintupler la mise sur un coup du sort (ou de bourse) puisqu'il n'y a plus rien à attendre du mérite et du travail patient... A ce jeu là, celui de l'individu, du self made man, du quand on veut on peut, on ne peut rien opposer à ces nouveaux élus qui comment Berlusconi avant eux, incarnent un modèle que l'on ne peut contester. La démocratie va sans doute renaître, mais elle ne peut pas repartir comme hier, derrière un illuminé providentiel. Elle doit se refonder sur une exigence de partage radical, y compris des postes. Le meilleur moyen d'éloigner les autocrates est de démonétiser, de ringardiser l'exercice du pouvoir solitaire. Je reconnais que c'est plus facile à écrire qu'à faire...