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12/01/2019

Ethique et responsabilité : les folles inégalités public / privé

Neuf samedis de colère, neuf marches dans toute la France et notamment sur Paris, mais une seule et même cible : Emmanuel Macron. Au-delà figure du président, un nombre croissant de responsables publics sont visés : des préfets, députés, maires, tous accusés d’être « pourris », « corrompus », se « gavant » et étant « déconnectés ». A lire les revendications et les pancartes florissant en manifestation, l'alpha et l'omega de nos malheurs collectifs seraient dus aux responsables publics. 

Évidemment, dans un contexte de colère sociale très forte, le fait que celle qui doit conduire le grand débat national, Chantal Jouanno, refuse de le faire parce que sa rémunération cause problème et qu’elle craint d’énerver les participants, c’est remettre une pièce dans le bastringue. Surtout quand elle refuse de démissionner et qu’elle garde ses 15 000 euros par mois. Incompréhensible et dangereux. Comme la récente promotion d’Agnès Saal, pourtant reconnue coupable d’utilisation immodérée du taxi remboursé par fonds publics, pour elle et ses enfants. Le recasage de tel ou tel, les copinages et les renvois d’ascenseur, tout ceci est insane, malsain. Dans le contexte actuel, chaque révélation comme celle-ci, c’est un jerricane d’essence de plus sur le brasero social. Il faudra bien, un jour, que des responsables publics s’attaquent à cette impunité et fassent vraiment accepter une justice de bon sens pour mettre fin au deux poids, deux mesures : impossible d’être légitime pour sanctionner les automobilistes un peu pressés quand on s’absout soi même de pêchés bien plus graves. Evidemment, évidemment, 1000 fois évidemment, il y a toujours trop de passe-droits, de parachutes ouatés, de facilités pour quelques uns.  

Mais quid de la responsabilité des acteurs privés et de leur éthique ? Pourquoi ne sont-ils pas plus présents et visibles dans les manifestations de colère ? Dans les années 60 et 70, les élus publics abusaient bien plus qu’aujourd’hui des avantages (chauffeurs, appartements de fonction pour eux et leurs proches et moins proches, frais de bouche, d'essence...) et des largesses d’une comptabilité fluctuante (les valises de cash) et n’étaient pas menacés. Les grandes fortunes, si. Dans une logique de lutte des classes vive et de rapport de force permanent, les écarts de richesses 1 à 10 entre ouvriers et patrons paraissaient inacceptable et donnèrent lieu à des violences atroces. L’enlèvement du baron Empain, le plus réussi au milieu de nombreuses tentatives de racket de riches et l’assassinant du patron de Renault, Georges Besse. Alors, les patrons étaient vus comme des privilégiés déconnectés insupportables qu’on pouvait appeler à pendre (Serge July, Alain Geismar et moult autres en mai 68) sans créer trop d’émotion.

Dans les années 80, le récit a changé. Alors, on a fait des grands patrons les « conquérants », les « aventuriers », les « créateurs de richesses » et dans le même temps on célébrait le capitalisme artiste et l’explosion des rémunérations des stars. En trente ans, les écarts de salaire entre ouvriers et patrons du CAC 40 est passé de 1 à 30 à 1 à 400. 400 ! 1 à 132 pour le SBF 120, une large part du privé a vu ses émoluments exploser. Comme pour les cachets de star, de comiques aux youtubeurs, de joueurs de foot aux influenceurs. Je ne défends pas Jouanno, mais sa rémunération même très forte reste largement inférieure à ce que Mbappé doit au fisc puisqu’il gruge largement les impôts français comme l’ont montré dans un silence assourdissant, les footleaks. Sans parler des funérailles nationales, de la pompe jusqu'à la quasi dévotion à la mort de Johnny ou Charles Aznavour, lesquels ont beaucoup plus pillé le bien commun que les élus républicains... Tous ces furoncles du bien commun sont applaudis sans cesse et même plus, défendus. Défendus et toujours soutenus. Passez devant les salariés grévistes de Mc Do ou de Starbucks qui réclament des augmentations alors que les groupes font des profits gigantesques cachés dans des paradis fiscaux. Aucun soutien, plutôt de l'énervement de ne pas trouver son échoppe ouverte. Macron n'a qu'à faire payer à Mc Do et Starbucks ce qu'ils doivent. Encore et toujours, le roi thaumaturge responsable de l'alpha et l'omega de nos maux. 

 

Il y a quelque chose de follement anachronique dans la colère contre les responsables publics, aujourd’hui. Ça n’est pas et plus le sujet. Ca n'est plus le sujet général, ce qui n'excuse pas le cas particulier de Chantal Jouanno. Ce poujadisme perpétuel sur les responsables publics a une connaissance inévitable : l’abaissement de leur niveau. De plus en plus de travail et de pression d’une part, contre de moins en moins de prestige, de plus en plus de coups à prendre, moins de moyens et moins de faste, quel fou accepterait cette équation perdante sur toute la ligne ? Les responsables privés travaillent sans doute plus, certes, mais avec une explosion de leurs rémunérations pour le tout petit bout du haut, un pouvoir grisant lié à la taille des nouveaux groupes et une irresponsabilité juridique étale.

 

Je ne crois pas à la thèse de la disparition des « serviteurs de l’Etat ». Ils se sont juste déplacé. Naguère, ces serviteurs étaient issus des grands corps et grandes écoles et choisissaient le service de l’Etat plutôt que celui de l’entreprise. Les écarts de revenus et de conditions de travail sont devenus tels que pour la noblesse d’Etat, les allers/retours sont devenus la norme et une évidence : servir pour se servir. Deux ans conseiller économique public puis 10 ans dans une banque avec salaire décuplé. Certes, mais les médecins qui choisissent l’hôpital public plutôt que les cliniques privées sont des serviteurs de l’Etat, les profs qui restent dans les établissements plus compliqués aussi. Et ainsi de suite. Eux devraient être révérés, revalorisés, mis en avant. Ça n’est pas le cas. Ça nous aiderait à nous réconcilier avec ce service public sur lequel on tape si fort.  

Quant aux responsables à fustiger, il serait bon que cela soit désormais plus représentatif des ordres de grandeur. A quand, à côtés des pancartes « Jouanno rends l’argent » et « Macron démission », des centaines de pancartes « starbucks, le fisc veut pas deux cafés, il veut l’addition ! », « Mc Do, stop à la malfiscalité », « Carlos Goshn, rends TOUT l’argent », etc etc…  Le mantra de l'oncle Ben de Spiderman encore et toujours : with great power comes great responsabilities. Ceux qui font le plus défaut aujourd'hui ne sont pas ceux que nous vilipendons.