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01/03/2019

Plus que l'oeuf ou le boeuf, qui vole ? Et surtout, qui vole qui ?

Ce soir, pour la 100ème fois, Carlos Ghosn dormira en prison. "Encore heureux" pensera celui regardera les faits reprochés : 74 millions d'euros d'impôts non payés. "Atteinte aux droits de l'homme" dira celui qui s'émouvra des conditions de détention ("cellule exigüe", nous dit on, mais individuelle tout de même) et du fait que le prévenu "nie les faits qui lui contestés". Cette ligne de défense ahurissante était proférée ce matin par un éditorialiste des Échos, qui disait que dans une démocratie on pouvait à minima s'interroger sur la légitimité de prolonger la détention...

74 millions. Une vie de travail au SMIC rapporte environ 740 000 euros (bruts...). Carlos Ghosn a détourné, volé, 100 vies de labeur d'ouvriers... 4 000 années de leur travail. Reprendre les ordres de grandeur donne le tournis. Et cet argent n'a pas été volé à des actionnaires, à des milliardaires, ni même aux salariés de Renault, mais à l'Etat français. Combien de travaux dans les facs, de chauffage dans les écoles, d'augmentation des infirmières, d'embauches de soignant(e)s avec une somme pareille ? Si l'on mettait en face de la somme de 74 millions tout ce que l'Etat aurait pu faire, nul doute que la réclusion à perpétuité obtiendrait une majorité de suffrages.

De l'autre côté du spectre, des voleurs de pomme dorment en prison sans que ça n'émeuve personne. Je mets volontairement les violences physiques ou les dégradations de côté pour ne pas ouvrir un débat "violence sociale vs violence physique". Je reste sur les voleurs. De fringues, de clopes, de billets. Encore une fois, je ne parle pas des cambrioleurs qui agressent des parfois malheureux et les détroussent sans savoir si une assurance réparera au moins le matériel. Mais pour les autres, les chapardeurs de grande surface qui finissent en prison ? Quand on pense à ce qu'ils ont ôté à la collectivité, on pleure.   

Reprendre les ordres de grandeur sur les sommes et l'identité des voleurs changerait tellement nos perceptions. Non pas qu'on euphémise, atténue ou absout une forme de vol, mais le relativisme en la matière n'est plus permis. D'un côté, des pauvres hères qui survivent de rapines et risquent la spirale d'un enfermement dans des conditions telles qu'il débouchera sur une surenchère de violence. Dans le lot, bien sûr, quelques brigands, mais de façon infinitésimale. 95% des personnes arrêtées pour trafic de stupéfiant gagnent bien moins que le SMIC avec leur commerce illégale. Les gros bonnets du trafic sont une tête d'épingle et je ne connais pas grand monde pour éprouver une quelconque clémence vis à vis de bandits gagnant des centaines de milliers voire des millions d'euros avec la drogue. D'ailleurs, ces escrocs ont les mêmes avocats et les mêmes fiscalistes que les PDG du CAC 40. La série The Wire avait magistralement montré cette collusion de l'argent sale, la réalité s'est alignée : après la crise de 2008, on a appris que Bank Of America avait été sauvé par l'argent du narcotrafic. 

 

L'affaire Cahuzac avait mis à jour la peur panique de l'ex ministre à l'idée de dormir en prison. L'affaire Ghosn rappelle l'effroi généralisée d'une caste à l'idée de dormir à l'ombre. On sait de façon assez documenté que la responsabilité pénale a fait chuter de façon drastique les accidents en usine et les mauvaises pratiques. La même chose devrait plus que jamais être crée pour les délits financiers.

L'adage qui vole un oeuf vole un boeuf ne vaut pas pour deux raisons. D'abord, l'explosion des inégalités fait que lorsque les premiers volent toujours un oeuf, les autres volent des milliers de boeufs. Ensuite, les premiers le font pour leurs poches, quand les seconds vident celle de la communauté. Dans les deux cas, la prison n'est pas forcément indiquée et des peines compensatoires, des travaux d'intérêt général seraient sans doute mille fois plus avisés, mais en tous cas, la peur du gendarme, la fin de l'impunité se fait chaque jour plus pressante. Pour qu'enfin apprenant l'arrestation de Carlos Ghosn, tout le monde puisse se dire "enfin", et surtout exiger que les 74 millions soient rendus à l'Etat.