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23/03/2019

Choisis pas ton camp, camarade

Puisque l'armée est mobilisée pour défendre la patrie en danger, aujourd'hui, on peut parler de guerre, non ? Pas au sens physique, puisqu'heureusement ils ne feront pas usage de leurs armes (le Général incendiaire d'hier ayant heureusement été recadré), mais symboliquement et même au delà, la tension monte avec une exhortation à choisir son camp. Quand Nunez et Castaner, les Laurel et Hardy de Beauvau disent "toute personne présente sur le lieu de la manifestation seront complices", on voit que la logique poussée à bout mène à de bonnes grosses folies. Au point de nous avoir mené, en riposte à un mouvement qui jamais n'a rassemblé plus de 300 000 personnes dans la rue, à une véritable guerre froide pour laquelle 68 millions de français semblent pressés devoir se prononcer sur leur soutien. Ceci, car les provocations ineptes du tandem de l'Intérieur, de Griveaux, du Président lui même et des plus zélés des membres de la macronie a fonctionné : nombre de types (peu de femmes parmi les coupables d'hubris contestataire, à part l'ineffable Aude Lancelin qui se prend pour l'incarnation de la parole juste avec une constance qui rappelle les meilleures heures de Beria...) sont tombés dans le panneau. Tous ces grands esprits confondent surenchère dans l'insulte et la démagogie, avec une proposition d'alternative sociale. 

Cette opposition montée en baudruche depuis quelques mois me rend fort triste. Pas seulement parce que cela m'a coûté une amitié de longue date, mais parce que le climat instillé ne vaut rien de bon, sauf pour Macron précisément. Car en forçant les uns et les autres à "choisir leur camp", le président a réussi le tour de force de faire qu'un certain nombre d'intellectuels, normalement soucieux d'esprit critique, soutiennent des personnages aussi suspects que Eric Drouet ou Maxime Nicolle, lesquels ne cachent pas une fascination pour François Asselineau et nombre de raccourcis grotesques : au motif que le vote populaire sur le TCE de 2005 a été violé (ce qui est ultra scandaleux, évidemment) on en déduit que "l'Union Européenne n'est pas une démocratie et qu'il faut donc en sortir". Au motif que les grands donateurs de Macron sont souvent des oligarques, on vit en oligarchie, etc etc... Trop de raccourcis tue le chemin à emprunter et nombre de figures se sont ainsi discréditées. 

On voit beaucoup Juan Branco en ce moment, le Danton jaune. De plateaux en plateaux, il cartonne avec son livre "impubliable en France car trop dangereux", la meilleure preuve du caractère inflammable de l'opus étant qu'il est présent dans toutes les librairies et qu'il a été invité à parler hier chez Cyril Hanouna, phalanstère avancé de la contestation sociale... Est-ce bien sérieux ? Qui reparle à Branco de sa défense de Julian Assange (il fut son conseiller et avocat) pour viol ? "Une tentative de déstabilisation américaine". Du fait que Wikileaks a mis en ligne des milliards de pages sans pouvoir les vérifier "la preuve que nous ne faisons pas de censure contrairement aux Panama Papers qui répondent à l'agenda de milliardaires" (il a sorti cette ineptie devant moi en débat, il y a deux ans...). Bref, ce jeune homme brillantissime se galvaude et se perd en cédant à la facilité et sa sortie sur tous les plateaux où il hurle qu'il est bâillonnée rappelle la stratégie de Zemmour. Appliqué à la lutte sociale, certes, mais ça n'est guère plus crédible. Talent gâché.  

J'ai connu Lordon meilleur que dans sa gentille masturbation publique où il explique les raisons pour lesquelles il n'ira pas à l'Elysée. Une lettre gratuite où il dit ne vouloir pas être à côté de BHL et Enthoven (qui n'étaient pas invités...) ou Boucheron (un tacle gratuit contre un immense historien, certes mou politiquement, mais traduit et célébré dans le monde entier comme scientifique, contrairement à Lordon...). Il aurait dû comme nombre de chercheurs radicaux se contenter de ne pas y aller et continuer à développer ses thèses sur la politique des affects. On ne fait pas de bonne philosophie sur du ressentiment et le chantre habile de Nuit Debout s'est mué en un schrtoumpf grognon qui cogne à l'aveugle.  

On pourrait ajouter Bégaudeau, mais rien que de citer ses propos sur "le bloc bourgeois" je sens monter en moi un mélange de courroux et de pitié pour la faiblesse de ses arguments tous réversibles. Passons. Tous ces talents gâchés à soutenir mordicus une cause à laquelle ils ne croient même pas, par haine de Macron. Qu'on haïsse le néolibéralisme quand on est de gauche, c'est heureux, mais de là à soutenir des types qui vomissent la démocratie  et le compromis (affirmer le RIC le RIC ! quand on refuse les principes de représentativité, ça ne prend pas...) c'est un contresens historique. 

Pourquoi n'a-t-on pas davantage parlé de ce texte magistral d'Alain Badiou où il explique ne pas soutenir les gilets jaunes, mouvement aux pulsions anti démocratique, anti émancipation sociale et anti progrès pour tous, mais au contraire assez individualiste et néo poujadiste ? Badiou n'est pas suspect de dérive libérale rampante tout de même... Alors que le mouvement lui même perd en soutien populaire à mesure que les semaines passent, Badiou rappelle que la gauche a un boulevard dans ce pays et que les gilets jaunes sont une impasse. A l'issue de cette triste pitrerie que fut le Grand Débat, le résultat est sans appel : l'enfumage n'a pas eu lieu. 9 français sur 10 disent vouloir un nouveau modèle économique et social avec davantage de partage et de justice. C'est cela qu'il faut pousser. Par des partis ou un mouvement politique, mais un mouvement qui s'inscrivent dans une logique démocratique, accepte la représentativité, le pluralisme, ne chasse pas les médias, ne se livre pas à des raccourcis éhontés. Quelques pancartes anticapitalistes, quelques slogans et autres queue de comète de manifs de gilets jaunes ne constituent pas ce mouvement. En 19 actes, toujours pas de projet d'ampleur proposé. Les exhortations à la patience ne passent plus : 4 mois à gueuler et surtout à s'enfoncer dans des postures violentes (je parle de la façon dont Ingrid Levavasseur fut expulsée, pas du Fouquet's...), simplifiantes, à n'être que dans la contestation... 

Ne pas soutenir les gilets jaunes n'a rien de déshonorant, ça n'empêche pas de reconnaître la justesse des fractures territoriales, d'exiger un big bang de la répartition (des richesses, des services publics, du travail), au contraire. Ca n'était pas notre combat, lequel laissera comme stigmates un durcissement du discours public, un durcissement de la répression policière, un durcissement d'un exécutif isolé. Notre seule force c'est le nombre, et en démocratie, c'est une arme redoutable dans les urnes. Mais pour gagner, il faut un mouvement qui croit aux urnes. A bon entendeur, camarade.