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19/05/2019

Balkany, Arnault et les limites de la décence.

La meilleure oeuvre de fiction de ce début d'année 2019 est sans conteste les minutes du procès Balkany. Tout y est. Le rebondissement de dernière minute (la tentative bidon de suicide), le grand avocat dépassé par son client et ce dernier, qui mélange Pagnol, Molière et toutes les pièces de Boulevard pour expliquer qu'il était dans le quasi dénuement malgré un château à Giverny, la villa somptueuse de Marrakech, et une pléthorique armée de petites mains ancillaires oeuvrant aux côtés du couple. Nonobstant le génie du baveux et de l'inculpé, quand on quittera la fiction pour les vrais réquisitoires, Balkany devrait logiquement être condamné. Enfin. 

On ne pourra que déplorer le fait que les pressions politiques aient repoussé ce procès pendant des années : proche de chez proche de Sarkozy, Balkany a bénéficié d'une clémence inexpliquée et d'un attentisme judiciaire durant tout le mandat de l'ancien président. Aujourd'hui, enfin, le bal s'arrête et personne ne pleurera un gigantesque fraudeur fiscale, amateur de fausses déclarations et de contrats maquillés pour ses employés.

On arrive tout juste à voir quelle vie a mené Patrick Balkany avec le fruit de ses larcins. Les meilleurs tables, des voyages ininterrompus, en permanence l'équivalent dans les poches de trois mois de salaire médian, six mois de loyer (une fois, le pressing rappela le couple pour les alerter sur la présence de 7 coupures de 500 euros dans une des poches de costume de monsieur). Bref, Patrick Balkany disposait de revenus et d'une fortune lui ayant permis de vivre une vie proprement indécente. Son patrimoine est estimé à 16 millions d'euros, environ 40 000 fois que Bernard Arnault. Je pose ça là.

Entendons nous bien. Bernard Arnault n'ira pas au tribunal, il ne commet pas les écarts de langage à la Tartarin de Balkany, il ne se fait pas pincer vulgairement pour travail au noir. Il est respectable et encensé de nombre de gazettiers comme "contribuant à la croissance". C'est sans doute au nom de cela qu'il a le droit de posséder une fortune 40 000 fois supérieure à celui qui ne comptait déjà jamais rien. 40 000 fois.

En 1968, quand les ouvriers et les étudiants convergeaient dans les rues pour exiger un Grenelle, les écarts de salaires dépassaient rarement 1 à 6, les très grands patrons atteignant tout juste 10 fois plus, 30 fois dans les années 1980 et 400 fois aujourd'hui. 

Le luxe et le digital, deux économies les plus prospères aujourd'hui ont intégralement oublié cela. Dans le luxe, une poignée de "créateurs" et autres "artistes" payés une fortune contre une armée de petites mains sous payés, voire bénévoles (lire à ce propos le saisissant "le plus beau métier du monde" de Giulia Mensitieri) avec la promesse chimérique car remplie pour 1/100 d'entre eux, de devenir riches. Idem pour le numérique, où les émoluments somptuaires d'une aristocraties de bons développeurs et "génies" de la date cotôient une plèbe de magasiniers et de tâcherons du clic. 

C'est assez fou d'observer les chiffres de ces économies déshumanisés où l'évitement du commun -l'impôt- domine à tel point que Patrick Balkany apparaît presque comme un modèle de vertu.