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26/05/2019

Ne pas se tromper d'accusé(e)s

Cruel paradoxe de cette élection pour les électeurs(rices) de gauche : le tiraillement entre 2 ou 3 listes aura concerné nombre d'entre nous jusqu'au jou du vote. Bien plus fort encore qu'en 2017, alors que le total des forces ce soir sera faible, en %, et dérisoires, en élu(es). Hier, j'ai eu de nombreux échanges privés avec des indécis de la dernière minute et nous nous renvoyons des balles argumentatives molles. "Le passé au Parlement, ça compte. Dans quel groupe vous siègerez ? Si t'as pas 5% ça sert à rien. Qui décide qu'une liste n'est pas à 5% ? Celles et ceux qui votent". Ad lib.

J'ai personnellement longtemps hésité et si je voterai Brossat, il y a d'autres bulletins que je comprends tout à fait pour des raisons de logique historique et institutionnelle, ou pour un très bon casting (je parle d'une ex responsable d'ONG engagée contre la fraude fiscale...). Et ce que je déplore, au fond, c'est la rapidité avec laquelle nous nous opposons entre électeurs pour des choix que nous subissons. Nous nous renvoyons des anathèmes, des déchirements, des querelles, des procès qui ne sont pas les nôtres. 

Par pudeur en ce jour de vote pour un idéal de paix, je m'en voudrais de lister les noms de ceux (peu de "celles", en l'espèce...) qui ont mis leurs égos en avant pour empêcher une union, une fusion, une résurgence. Mais à cause d'eux, ce soir la gauche va prendre une dégelée quand les grands enjeux de l'époque sont celles de ce courant de pensée. 

Six mois de mouvements de gilets jaunes, lesquels ont mis en avant la France des oubliés, le manque de service public et les ravages de la fraude fiscale : ce soir on aura en tête 3 listes et 60% des voix pour ceux qui promettent  (et font....) de diminuer encore le nombre de fonctionnaires, de maltraiter leurs conditions de travail, et macache pour la fraude. Six mois aussi de marches pour le climat, des milliers de jeunes encore dans la rue, hier. 1 million dans le monde. Et les pro glyphosates et FNSEA feront carton plein. 

Ce, car si nous étions dans Games of Throne, nous avions vu l'armée des morts arrivée et nous avions refusé l'union. Résultat ? Balayés... 

L'an prochain, il y aura les municipales. Dans ces élections locales où le pluralisme et le pragmatisme sont la base pour chaque dossier il n'y a littéralement aucune raison de ne pas faire d'union. Se rassembler d'emblée pour travailler sur des programmes locaux d'énergies propres, de transports verts, de circulation limitée, de piétonisation des centres villes et d'empêchement des centres commerciaux pour les faire revivre. Une fois la feuille de route écrite, on tirera au sort le leader. Pour éviter de recommencer une funeste erreur. Sur ce, malgré la débâcle annoncée, m'en vais voter. 

23/05/2019

Délivrons-nous du mal travail

La figure du livreur comme allégorie d'un capitalisme malade ne cesse d'être renseignée et alimentée comme ce qu'on peut faire de pire. De témoignages acerbes en reportages en immersion, tous montrent une profession aux conditions de travail digne d'un Germinal du XXIème s. Le long sujet de  Quentin Baulier, sur BFM (oui oui...), qui avait vécu une semaine de courses pour voir ce que cela faisait à son corps et son porte monnaie devrait être diffusé à tous les start uppers envisageant une solution avec livreurs, aux investisseurs, mais aussi et surtout aux clients qui ont recours à ces services. Chacun doit s'interroger quand il parle de "la valeur travail" et qu'il voit ce qu'il est prêt à concéder aux forçats de la pédale comme gratification. 

Le marché de la livraison était naguère cantonné à des produits très lourds et encombrants où le service se justifiait amplement et était très correctement rémunéré, ou réservé à quelques services de restaurations et en l'espèce, les livreurs étaient salariés et non incités à mettre leur santé en danger pour glaner quelques minutes et faire une livraison de plus dans l'heure. 

Désormais, toutes les applis de livreurs sans exception pratiquent un dumping social immonde en imposant des cadences folles, en faisant prendre des risques physiques inouïs, en ne rémunérant rien pour les périodes sans livraison, en indemnisant ni vacances ni jours fériés et ne prenant pas en charge le moindre accident...  

Habitant dans un immeuble sans ascenseur avec des voisins friands de ce genre de services, j'entends les livreurs monter au pas de charge 4 ou 5 étages pour ne pas perdre de temps par rapport aux injonctions de l'algorithme qui fonde ses exigences sur le temps de trajet prévu par Google maps d'un point à l'autre, ce qui ne prévoit pas le temps d'attacher le vélo, de monter les étages, d'encaisser le client... Entendre le livreur qui reprend son souffle, c'est entendre un modèle économique au bord de l'apoplexie et tous ceux qui entretiennent l'assistance respiratoire sont ceux qui commandent. Qui, au moment d'appuyer sur "commander" ne réalise pas qu'il se met en position d'exploiteur ? Qui peut ignorer le dumping social qu'il effectue pour un gain minable ?  

On parle, à raison, du coût social d'un t-shirt à 3 euros ou du fait qu'1 kg de tomates à 2 euros n'est sans doute pas produit dans des conditions saines. Mais dans ces deux cas, il y a une invisibilisation du mal travail, des mauvaises conditions. Dans le cas du livreur, nous le voyons directement arriver et il n'est tout bonnement pas possible que ne se multiplient pas les plaintes de clients comme elles devraient advenir contre Amazon (je précise que je ne recours ni aux uns ni aux autres, hein...).

J'ai récemment lu un article sur la fronde des clients de Frichti, qui, choqués par ce qu'ils avaient lu des témoignages de livreurs, demandaient des comptes à l'appli. J'y ai vu une lueur d'espoir, mais il est vrai qu'une refonte radicale des droits des travailleurs des plateformes numériques irait beaucoup plus vite pour nous délivrer du mal travail... 

19/05/2019

Balkany, Arnault et les limites de la décence.

La meilleure oeuvre de fiction de ce début d'année 2019 est sans conteste les minutes du procès Balkany. Tout y est. Le rebondissement de dernière minute (la tentative bidon de suicide), le grand avocat dépassé par son client et ce dernier, qui mélange Pagnol, Molière et toutes les pièces de Boulevard pour expliquer qu'il était dans le quasi dénuement malgré un château à Giverny, la villa somptueuse de Marrakech, et une pléthorique armée de petites mains ancillaires oeuvrant aux côtés du couple. Nonobstant le génie du baveux et de l'inculpé, quand on quittera la fiction pour les vrais réquisitoires, Balkany devrait logiquement être condamné. Enfin. 

On ne pourra que déplorer le fait que les pressions politiques aient repoussé ce procès pendant des années : proche de chez proche de Sarkozy, Balkany a bénéficié d'une clémence inexpliquée et d'un attentisme judiciaire durant tout le mandat de l'ancien président. Aujourd'hui, enfin, le bal s'arrête et personne ne pleurera un gigantesque fraudeur fiscale, amateur de fausses déclarations et de contrats maquillés pour ses employés.

On arrive tout juste à voir quelle vie a mené Patrick Balkany avec le fruit de ses larcins. Les meilleurs tables, des voyages ininterrompus, en permanence l'équivalent dans les poches de trois mois de salaire médian, six mois de loyer (une fois, le pressing rappela le couple pour les alerter sur la présence de 7 coupures de 500 euros dans une des poches de costume de monsieur). Bref, Patrick Balkany disposait de revenus et d'une fortune lui ayant permis de vivre une vie proprement indécente. Son patrimoine est estimé à 16 millions d'euros, environ 40 000 fois que Bernard Arnault. Je pose ça là.

Entendons nous bien. Bernard Arnault n'ira pas au tribunal, il ne commet pas les écarts de langage à la Tartarin de Balkany, il ne se fait pas pincer vulgairement pour travail au noir. Il est respectable et encensé de nombre de gazettiers comme "contribuant à la croissance". C'est sans doute au nom de cela qu'il a le droit de posséder une fortune 40 000 fois supérieure à celui qui ne comptait déjà jamais rien. 40 000 fois.

En 1968, quand les ouvriers et les étudiants convergeaient dans les rues pour exiger un Grenelle, les écarts de salaires dépassaient rarement 1 à 6, les très grands patrons atteignant tout juste 10 fois plus, 30 fois dans les années 1980 et 400 fois aujourd'hui. 

Le luxe et le digital, deux économies les plus prospères aujourd'hui ont intégralement oublié cela. Dans le luxe, une poignée de "créateurs" et autres "artistes" payés une fortune contre une armée de petites mains sous payés, voire bénévoles (lire à ce propos le saisissant "le plus beau métier du monde" de Giulia Mensitieri) avec la promesse chimérique car remplie pour 1/100 d'entre eux, de devenir riches. Idem pour le numérique, où les émoluments somptuaires d'une aristocraties de bons développeurs et "génies" de la date cotôient une plèbe de magasiniers et de tâcherons du clic. 

C'est assez fou d'observer les chiffres de ces économies déshumanisés où l'évitement du commun -l'impôt- domine à tel point que Patrick Balkany apparaît presque comme un modèle de vertu.