12/07/2019
Balance ta loi pour la morale ?
Il y a peu, j'ai déjeuné avec mon maître Yoda. Psy de formation, auteur d'une foultitude d'ouvrages sur les troubles psychiques et la protection des personnes vulnérables, il a en parallèle passé sa vie à diriger d'importantes associations. Et c'est au patron que je m'adressais avec désarroi en lui demandant s'il avait eu à gérer et à sanctionner des cas de harcèlement sexuel au travail. Sa réponse et les exemples tirés de sa pratique m'ont tour à tour surpris (par leur ampleur et récurrence) ravi (par leur issue) et décontenancé (par leur méthode).
Spoiler : à chaque fois qu'il fut confronté à ce type de sordides histoires, le harceleur fut licencié sans que l'employeur ne verse un euro. Pour arriver à ce Graal de la lutte féministe, il n'a pas employé les méthodes habituelles. Pas de prud'hommes, pas de mise en demeure, pas de lente enquête auprès de la médecine du travail. Une technique plus Panzer division face à une situation en apparence bloquée : une trentenaire en reprise d'études en alternance, harcelée par un cadre quinquagénaire protégé par le syndicat majoritaire. Lorsque la jeune femme a eu le courage de se plaindre à la direction, cette dernière a immédiatement saisi l'inspection du travail. Face au dossier du cadre, ladite inspection ne s'est même pas déplacée et a classé sans suite, faute de preuves.
C'est là où mon maître Yoda m'a dit "quand la loi te mène à l'impasse, passe par la morale. Je suis allé voir les collègues en leur disant que j'avais besoin de preuves pour licencier proprement le harceleur. Je pars de la finalité, je ferme la discussion. Tout le monde a parlé, j'avais mes témoignages". Lors du CCE de l'association, il est arrivé en sa qualité de DG et a dit sobrement "il manque un point à l'ordre du jour". A l'issue de la réunion, le harceleur était licencié.
Je fus décontenancé car Yoda ne m'a jamais paru féministe. Il pouvait même se livrer à des plaisanteries stupides en fin de dîner entre mâles. Mais là, il a agit en marxiste en protégeant le dominé (la dominée, en l'espèce) et en sanctionnant celui qui abuse de son pouvoir de subordination. Bon.
Certains diront que la fin justifie les moyens et que l'ampleur du harcèlement impose évidemment de s'asseoir sur des convenances et des normes juridiques qui ont montré leurs limites. Je pourrais abonder, cela ne me choque évidemment pas. Mais ce qui m'ennuie c'est que cela reporte l'efficacité de la procédure sur un(e) individu et ne donne donc pas les mêmes chances aux autres femmes harcelées. Directeur général et n'attendant aucune progression de carrière, Yoda n'a pas le profil type des dirigeants qui se retrouvent exposées à ce genre de camp. Il existe une foultitude de raisons pour lesquelles des dirigeants (et des dirigeantes aussi) sont trop prudents, timorés ou lâches selon votre niveau d'énervement face à la cause. La morale est un moteur qui va plus vite, mais la loi protège plus loin...
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