22/07/2019
Insaisissable ligne rouge
Et vous, quelle serait votre ligne rouge professionnelle ? Avec qui ne travailleriez-vous pas, refuseriez-vous de rencontrer, de parler, de serrer la main même ? Chaque fois que je me pose ces mêmes questions, les réponses varient. A la marge, bien sûr, mais elles varient. Le doute, l'envie de croire que le changement peut venir d'individus, de femmes et d'hommes éclairé(e)s, déterminé(e)s, opiniâtres me rattrape l'espace d'une seconde, puis je retourne à mon tempérament mêlant cynisme et pessimisme ("perfidie" me fut proposé récemment...) pour me dire que mêmes les meilleur(e)s d'entre nous ne changeront pas des systèmes corrompus.
Cela varie donc, mais je sais bien qu'il faut des intangibles, des infréquentables, des irrécupérables. Le génie du capitalisme libéral c'est précisément de récupérer toutes les critiques, mêmes radicales, pour faire croire qu'il peut les intégrer, en tenir compte, changer. Je n'y crois goutte. En politique comme en entreprises, il y a des infréquentables.
On peut faire une analogie avec le discours d'Etienne Chouard qui, en 2005, faisait un formidable travail d'explication du Traité de Constitution européenne pour informer un maximum de citoyens. Problème, il avait dit qu'il voulait "parler avec tout le monde, sans exception". Des années plus tard, ses débats à répétition avec Alain Soral rappellent tristement qu'à ne se fixer aucune limite, on se brûle.
Celles et ceux qui sont aujourd'hui le plus exposés à cette question de la ligne rouge, sont les écologistes. Militants associatifs ou entreprises, la question des collaborations, des partenariats, ils se posent la question sans cesse. Là où Greenpeace refuse tout don d'entreprises, le WWF les accueille avec des limites, d'autres encore prendront les dons de Total dont la fondation s'engage (défense de rire) dans la préservation de la biodiversité marine... L'attitude de Greenpeace ne pourrait être généralisable car si on ne travaille plus, ne parle plus, n'échange plus avec toutes les entreprises cela signifie qu'on veut la mort d'un monde avant l'avènement d'un nouveau monde. L'attitude ouverte à tous les vents implique que rien ne changera. La ligne de crête est entre les deux, mais l'urgence la fait pousser du côté des attitudes radicales.
Le boycott par la consommation montre bien cette envie d'extension de la ligne rouge. Songeons au boycott mondial du socialement et écologiquement infâme Amazon. A la longue lutte contre Danone au Maroc. Au mouvement spontané contre Uber aux USA, après moult dérapages racistes et sexistes... La volatilité de ces actions et la fragilité des actions quotidiennes en face ne suffiront pas. Il faut davantage d'organisations collectives érigeant des lignes rouges. Des milliers de points de vente alimentaire refusant le plastique et les emballages inutiles. Des hôtels et lieux de congrès refusant itou le gaspillage. Des mairies qui ne veulent plus accueillir d'entreprises polluantes, asociales. Récemment, le maire de Chartres a refusé le chantage à l'emploi d'Amazon, la mairie de Séoul a refusé l'implantation d'Uber, celle de Paris a refusé (alors qu'elle n'en avait pas le mandat !) les subsides de Total comme sponsor des jeux.
Il y a encore des réactions disproportionnées par rapport à ces attitude de refus commercial pour servir le bien commun. On nous dit qu'il faut discuter davantage. Comme pour Europacity qui fait mine de dire qu'on ne peut pas débattre de leur légitimité quand ils n'en ont aucune. C'est faux. Face à la montée des dérèglements climatiques, des inégalités induites, la ligne rouge n'est du sectarisme que dans l'esprit de ceux qui se contrefichent de l'invivabilité du monde à venir. Merci à celles et ceux qui disent non.
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