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11/09/2019

Débat sur le partage des richesses : rajouter les chiffres aux lettres...

Dans le film "Les nouveaux chiens de garde", Frédéric Lordon s'amuse de la pauvreté linguistique et idéologique des économistes libéraux qui défendent en boucle les mêmes deux idées, quand la pensée critique propose des milliers d'alternatives. Un montage un peu taquin montre la vacuité d'économistes, d'experts et autres patrons répétant en boucle : "pour la compétitivité, il faut encourager le risque et ceux qui créent des richesses et ça, ce sont les entrepreneurs et les grandes entreprises ".

Là où ça devient intéressant, c'est que jamais leur discours ne varie d'un traître mot quand la réalité, elle, a changé de façon considérable en 30 ans.... Or, le montage nous montre que le globi boulga qui sert d'argumentaire aux libéraux n'a pas varié d'un iota depuis les années 1980, époque où, enfin, ils réussissaient à faire sauter le verrou de la protection pour entamer des baisses d'impôts massives.

Les experts continuent de hurler à la mort contre toute forme de taxation avec les mêmes mots qu'ils employaient quand ladite imposition était équivalente à plus du double....  Le problème étant que ces sommes colossales qui sont allées dans les poches des plus riches sont parties du bien commun. Et des classes de REP aux urgences hospitalières, de la voirie à la rénovation énergétique des bâtiments, de la construction de HLM à l'investissement dans les énergies renouvelables ou l'aide à une révolution agricole, ça ne sont pas les besoins financiers qui manquent...

Prenons un exemple de l'interview matinale d'Inter où il fut question de taxation des riches. A la fin de l'interview, Stéphane Richard nous apprend qu'il s'est acquitté en 2018 de 700 000 euros d'impôts, soit 41%. On voit donc qu'il a gardé 1 millions d'euros pour lui (au minimum, il a sans doute des primes et bonus qui ne passent pas par la même grille d'impôts), donc vous n'êtes pas obligés de lui tendre un kleenex. Ensuite, Richard appartient à un groupe anciennement public donc très encadré, expliquant qu'il fait partie comme Pépy des quelques dirigeants qui payent rubis sur l'ongle sans avoir une partie de sa rémunération imposée en Belgique ou au Luxembourg. Richard représente donc la taxation des hauts revenus comme Noël le Graët représente la lutte contre l'homophobie...

Rajouter les chiffres aux lettres est l'urgence absolue dans le débat sur la richesse. On agite le "97%" de taxe sur les successions de Piketty en hurlant qu'il est la réincarnation de Trotsky et je ne sais quelle fadaise... D'abord, des taxations supérieurs à 90% existaient aux États-Unis jusqu'à l'orée des années 80 et même à cette époque, ce pays ressemblait peu à un Kibboutz. Ensuite, l'explosion des fortunes crées depuis les années 80 interpellent et doivent être mises au débat : en 2018, la fortune de Bernard Arnault a gonflé de 30 milliards d'euros. Pensez-vous qu'il ait réussi ce tour de force en étant taxé à 97% ? Pensez-vous qu'il ait même dû s'acquitter à l'instar de Stéphane Richard, de 41% de sa fortune, donnant ainsi quelques 12 milliards au fisc français. Et beh non. Et c'est ballot car on cherche 750 millions pour l'ensemble des services d'urgences hospitaliers de France et on ne les trouve pas sans les enlever à d'autres pans du système de santé... Avec 12 milliards, donc une taxation plutôt douce du plus riche homme de France seule, on peut changer radicalement la donne pour 66 millions de français. 12 milliards, c'est par exemple, le quasi budget (13, en réalité) de l'ensemble de l'enseignement supérieur français... Une diminution de la fortune de Bernard Arnault qui ne changerait rien à son train de vie (il garderait yachts, jets, châteaux pour dormir et Château Pétrus à boire) pour changer fondamentalement la vie de 1,7 millions d'étudiants, ça vaut le coup, non ? 

Des exemples comme celui-ci, il y en a à l'envi, surtout dans le pays du monde où les milliardaires voient leur fortune augmenter le plus rapidement... Les experts vous diront qu'on ne peut pas mettre sur le même plan une fortune gonflée à coups d'actions en bourse et du salaire et que vous faites de l'idéologie. C'est inepte, des richesses à partager sont des richesses à partager. Le start upper qui s'est payé au smic pendant 2 ans puis empoche 10 millions a peut être "pris un risque", mais taxer ses 10 millions à 80% par exemple lui laisserait 2 millions, ne pas se laisser émouvoir... 

Le débat sur le partage des richesses peut toujours s'entendre sur les lettres : oui, on a besoin d'entrepreneurs. Oui, on a besoin de créateurs de richesses... Oui, mille fois. Montrer que la création de richesses est le fait de l'ensemble des femmes et hommes qui participent à la vie de l'entreprise, qui créent, qui travaillent au quotidien, est une tâche longue et fastidieuse quand nos imaginaires ont été littéralement colonisés par la rhétorique libérale de l'individu sauveur. Notre croyance que de "bons" individus vont changer le monde est bien le souci : aux entrepreneurs kleptocrates, nous voudrions proposer des gentils entrepreneurs sociaux et éthiques. C'est une part, minime, de la solution, mais ça ne suffira jamais tant qu'on ne change pas le système qui favorise les kleptocrates... Le débat peut perdurer encore longtemps sur les lettres, mais il ne résiste pas aux chiffres. Camarades intervieweurs et intervieweuses, révisez vos grimoires.