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18/11/2019

La complexité à bon dos

Dans "pourquoi les riches votent à gauche", le journaliste et essayiste américain Thomas Frank torpille méticuleusement, vigoureusement, chirurgicalement, l'argument progressiste de la complexité du monde. Non pas que le monde ne soit pas complexe, il l'est, mais cette posture rhétorique du refuge derrière la complexité masque en réalité une soumission à l'ordre dominant.

Depuis Clinton jusqu'à Obama, les progressistes yankees ont abandonné en rase campagne toute réforme sociale au nom de cette sacro-sainte complexité. Ainsi de la séparation des banques de dépôt et et de spéculation, abandonnée car "c'est plus complexe que ça". Le fait que Goldman Sachs et City Group soient parmi les principaux financeurs des campagnes démocrates pourrait-il expliquer ce renoncement ? Populisme ! Poujadisme ! Non, c'est juste "plus compliqué". Le fait que nombre de conseillers de Clinton et Obama (la liste est fournie dans le livre) soient partis monnayer leurs talents en millions $ annuels dans lesdites banques miraculeusement préservées pourrait-il expliquer une attitude émolliente au moment d'examiner les responsabilités accablantes des grosses banques dans la crise de 2008 ? Populisme, poujadisme, c'est plus compliqué ! Quand on écoute les dirigeants progressistes apôtres de la complexité, on en vient à croire que les malheureux expropriés, ruinés, détruits par les subprimes, sont les responsables de leurs propres malheurs...

En France, nous avons exactement la même caste et les mêmes arguments. A propos de la taxe à 75% sur les revenus supérieurs à 1 million d'euros, Macron conseiller économique de l'Elysée disait que c'était "Cuba sans le soleil". Président, il a aboli l'ISF, instauré la flat tax et la limitation de l'impôt sur les salaires des banquiers. Il a aussi introduit le "droit à l'erreur" inversant de façon criminelle la présomption pesant sur les boîtes qui fraudent. Avant, elles redoutaient le gendarme. Maintenant, elles peuvent dire "oups, pardons, je ne savais pas, je vais juste payer ce que je dois et surtout pas d'amende". Elles peuvent d'autant plus tranquillement que Bercy est le 2ème plus gros plan social de ce pays (après l'Hôpital public...) et que les contrôleurs étant virés au profit de mouchards sur Facebook, les fraudeurs peuvent dormir et s'enrichir tranquille. C'est écoeurant. Si vous leur dites, les progressistes vous diront que "la réalité est plus complexe". Au début de son quinquennat, Macron avait d'ailleurs vanté la "pensée complexe" et on le comprend, personne ne voulant mettre en avant une pensée monolithe et bourrine. Dans la foulée, le fidèle Rantanplan qu'est Gilles Le Gendre avait dit "sans doute avons-nous été trop subtils, trop intelligents", façon de dire que ceux qui émettaient des doutes sur la politique de ruissellement étaient des crétins. 

La semaine dernière, s'ouvrait à Paris le procès des crapules de la BNP qui avaient refourgué à des pauvres hères un crédit d'une filiale suisse où nombre de petits épargnants ont foncé vers un produit financier miraculeux et après avoir acheté 200 000 euros et remboursé 150 000 euros de produits, se retrouvent toujours avec 180 000 euros de dettes... Les témoignages sont accablants sur ces familles brisées. Le principal accusé n'est pas à la barre, il s'agit du patron de la filiale, alors. François Villeroy de Galhau, ex dircab de DSK socialiste madré et désormais parachuté à la tête de la Banque de France. Face à l'évidence de sa responsabilité judiciaire, il répond "chat perché, carte complexe". 

Il est amusant de voir que les promoteurs de la complexité reprennent en coeur depuis 30 ans l'antienne tatchérienne du There is no alternative. Une politique complètement exempte de complexité reposant sur l'équation suivante : baisse des impôts des plus riches = davantage de compétitivité et investissements et emplois. Résultat partout en 30 ans, des milliardaires payant moins d'impôts que les classes moyennes, une fraude fiscale qui explose, un chômage et une précarité de l'emploi qui augmente (que ceux qui parlent des 4% de chômage aux US lisent deux secondes des études sur ceux qui sont hors radars des statistiques et se comptent en millions, les carabistouilles sur les chiffres en France sont beaucoup moins grossières, mais la logique manipulatrice est la même) et des inégalités qui se rapprochent dangereusement de ce que nous appelions naguère et avec condescendance, "le tiers monde".

La complexité à bon dos, c'est un cache sexe qui ne trompe plus grand monde et n'empêchera pas l'arrivée au pouvoir de ceux qui disent clairement leurs sombres desseins, Trump là bas. Le Pen chez nous. Nous sommes prévenus.