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12/12/2019

Extension du domaine référendaire, réduction du politique

"75% à 80% des électeurs britanniques voteront aujourd'hui en fonction du Brexit". Adieu santé, éducation, transports. Adieu partage, solidarité, échanges. Adieu, surtout, projet de société. Ce "pour ou contre" est une façon de mettre la poussière sous le tapis et d'oublier toute forme de complexité. Dans le camp du Brexit, on a évidemment les rageux, les haineux, ceux qui ne supportent pas les immigrés qui leur volent travail et femmes, pains et lits, qui ruinent leurs valeurs. Bien sûr. Mais il y aussi ceux qui veulent le retour du NHS d'antan, une des premières revendications. Ceux qui veulent la fin de frais de scolarité étudiante exorbitants, qui ont explosé sous Cameron plus que n'importe quelle bulle d'IA. Ceux qui veulent renationaliser les chemins de fer pour avoir des transports fiables, peu onéreux, qui les mènent au travail sans bouchon et frais d'essence trop lourds. De tout cela, il ne sera pas question, aujourd'hui.

La vision référendaire c'est la lèpre du débat politique, et elle s'étend. En Israël, tous les grands écrivains ont hurlé depuis des décennies qu'on ne pouvait plus faire de politique chez eux, plus avoir des discussions sur le modèle de société que l'on veut. Grossman, Oz, Shalev et Kimhi écrivaient que la vie politique israëlienne était prisonnière du débat sur la guerre et l'extension coloniale. A cause de ce nauséabond sujet, le pays s'est enfoncé sans cesse plus à l'extrême-droite, au point que cette crapule de Netanyahou est un point, peut-être pas d'équilibre, mais à tout le moins de discussion, avec des nervis plus à droite encore.... 

La logique du TINA pousse les libéraux classiques ou leurs faux nez progressistes à proposer la même chose : nous ou le chaos. Un référendum en creux. Ça finit toujours mal, les Démocrates Américains étaient persuadés qu'entre de bons gestionnaires d'Ivy League et un clown de télé réalité, jamais le peuple ne les bouteraient hors du royaume. Raté. Comme le dit Patrick Savidan, il y a une "démocratisation du sentiment oligarchique" : puisque tout est perdu, je veux être un gagnant et tant pis pour les perdants que j'écraserai avec mon SUV... Ça vaut pour Orban (marre des losers communistes) pour Trump (marre des pleureuses pro LGBT et féministes) pour Salvini (des droits-de-l'hommiste qui veulent aller à Lampedusa) ... Ça sera vrai chez nous.

Il y a quelques mois, deux tiers des français étaient favorables au principe d'un système universel de retraites. Deux tiers. Moins d'un tiers aujourd'hui. Ceci précisément au nom de cette rhétorique pleine de morgue. Le "nous sommes trop intelligents" décliné aujourd'hui en "nous allons continuer la pédagogie de la réforme". La semaine dernière au premier jour de grève, sur France Culture donc avec le temps de s'expliquer, Laurent Berger, modéré parmi les modérés, expliquaient pourquoi il soutenait le principe de la réforme. Hier, le même s'est mué en taurillon devant une muleta. Ceci au nom d'une insupportable absence de volonté de débat et de passage en force sur l'âge pivot...

Il existe du "débat washing". La grande kermesse de début d'année en est une illustration. La première revendication des français, des années lumières devant le reste, c'était revaloriser les soignants et doter le service public de santé d'équipements, de moyens humains dignes. Exit du débat et 10 mois après une grève sans précédent, Buzyn donne des queues de cerise. Soit ils ont la même audition que Beethoven, soit ils ne veulent pas discuter. Mon intime conviction penche pour la seconde réponse. Ma même intime conviction me dit que Boris Johnson ne perdra pas ce soir. Parce qu'en cas de référendum, l'envie de dire merde est toujours majoritaire. Marine le Pen ne dit rien, elle compte les points et attend gourmande, tel le Renard que le Corbeau de l'Elysée laisse choir son fromage.