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18/03/2020

Lettre à mon coiffeur

Salut mon pote. Je pense à toi ce matin, je me dis que je n'aurais pas dû te faire une infidélité lors de mes vacances de février et m'offrir une dernière coupe chez toi. Parce que tu en avais plus besoin que l'échoppe cossue d'une bourgade paisible de montagne qui n'a connu ni gilets jaunes, ni grèves des transports, avant le confinement. Ca n'aurait pas changé ton chiffre de l'année, mais au moins j'aurais fait ma part comme dit le Colibris. 

Quand je suis venu te voir en janvier, tu me disais que tu venais de te verser un salaire pour le mois de novembre, et toujours pas décembre... Ton employée d'abord, toi tu servais de variable. Tu te plaignais pas même si ton salon avait été déserté pendant des mois, occupé des seul.e.s habitué.e.s septuagénaires, octogénaires et plus qui continuent à venir. Mais la clientèle de bureau, plus rien. En plus tu devais fermer plus tôt pour prendre le métro tant qu'il y en avait. 

Tu ne pestais pas, tu disais que la marche te réussissait plutôt bien à la ligne. Et de toutes façons tu étais contre la réforme des retraites. Les gilets jaunes, tu les comprenais et les soutenais même si tu avais dû fermer rideau boutique quelques samedi, journée faste pour toi. 

Tu rigolais des propositions de Le Maire sur l'URSSAF car ça ne changerait jamais le trou dans la caisse qui est normalement l'endroit avec lequel tu te payes. En janvier, tu me disais "pourvu que ça soit le fin, parce que là on les a enchaîné et maintenant, il faudrait que ça reparte". Et je pense d'abord à toi, rare échoppe un peu populaire dans un quartier qui s'est embourgeoisé presque aussi vite que les rayons de pâtes se sont vidés, récemment. Mais je sais que tu n'es pas une exception. Mes libraires me disent la même chose. Ils ne sont pas du genre à tempêter, à rouspéter, parlent toujours de "cotisations" et jamais de "taxes" ne disent pas qu'il y a trop d'impôts où que les gens ne lisent plus, ils critiquent simplement la concurrence déloyale (au sens propre, ils ne payent pas d'impôt et esclavagisent le gros de leurs salariés, qui triment actuellement dans les entrepôts sans masque et gel) d'Amazon. Ils critiquent pas, mais reconnaissent que la période fut dure pour les TPE. Pas de CICE à 20 milliards pour eux, pas de crédit impôt recherche, pas de plans sur la comète, rien d'autre qu'un peu de considération ministérielle et une vague tolérance pour les paiements ("report" ça n'est pas "annulation")... 

J'ai parlé aussi avec mon ami et collègue Thomas Bout, fondateur des éditions rue de l'Échiquier où je dirige une collection. Pour lui aussi, tout s'est arrêté le 15 mars et ça va frotter. 1 à 2 mois d'arrêt, c'est 15% d'une année. Quand la plupart des petites boîtes finissent l'année avec 15 jours de trésorerie d'avance, pas besoin d'être Villani pour savoir qu'il faudra beaucoup de tolérance bancaire... 

Quand ça repartira, quand ça recommencera, il faudra tout remettre à plat. Et taxer ceux qui ont, ceux qui captent les aides. On ne pourra plus "ne prêter qu'aux riches" car les pauvres ne pourront plus faire sans prêts gracieux, sans aides véritables. Quand aux riches, il va enfin falloir passer à la caisse, mettre fin à trois décennies de dumping fiscal où ils sont passés d'une assiette progressive à une assiette dégressive faisant que les milliardaires payent moins d'impôts, proportionnellement, que des gens à 2,5 ou 3 SMIC... Honte. Et qu'on ne vienne pas nous tirer des larmes avec les 20 milliards perdus par Bernard Arnault et le fait que LVMH va fabriquer des millions de gels hydroalcooliques pour les hôpitaux... Cet homme, financé exclusivement sur fonds publics quand il reprend Boussac a volé des dizaines de milliards d'euros au fisc. Dizaines de milliards qui manquent aux hôpitaux.

Souvenons-nous, encore et toujours des hôpitaux publics espagnols qui avaient refusé les 320 millions de don d'Armancio Ortega, fondateur de Zara, qui lui aussi a fraudé des dizaines de milliards aux biens communs espagnols pour son compte en banque. Son don, c'était de la charité. Nous n'en avons pas besoin, le COVID nous rappelle que nous avons et que nous aurons plus que jamais, besoin de solidarité.