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06/04/2020

Qui peut faire plus avec moins ?

Passée la sidération, je me suis demandé comment le directeur de l'ARS Grand Est, lui qui voit depuis plusieurs semaines les structures qu'il gère être si saturées qu'on doit évacuer des patients par TGV médicalisés, comment pouvait-il admettre la suppression de postes et de fermetures de lits dans son périmètre. La réponse officielle, comme toujours avec le new public management, c'est que ces décisions sont prises au nom "de la modernité et la performance".

La même logique prévaut dans nombre de services publics, en premier lieu la recherche et l'Université où l'on vante les mérites de l'organisation "agile" (comprenez le recours à des vacataires ultra précaires plutôt que des titulaires), "la polyvalence" (comprenez le fait que les enseignants chercheurs fassent en plus de l'administratif plutôt que de recruter des personnes qualifiées pour ces missions). Partout, il faut "faire plus avec moins".

On connaît la chanson, "l'État est obèse", "nous sommes dans un pays soviétique où la dépense publique est gigantesqu"e. Dans la besace de ceux qui haïssent l'idée de service public, car ils la jugent inefficace, un chiffre magique : 57%. Dans environ la 1/2 de ses chroniques, cet ineffable crétin de Brice Couturier explique que la France est pénalisée dans le marché mondial car 57% de nos richesses seraient spoliées par l'État Leviathan pour les dépenses sociales. Un chiffre attrape couillons (pour rester poli) car il sous tend l'idée que l'État est de plus en plus riche...

Or, si on prend du recul et regarde le budget de l'Etat sur 30 ans, on est au contraire sidéré par son incroyable appauvrissement. Un petit coup d'oeil sur le site de l’INSEE nous indique que le PIB national était de 760 milliards d’euros en 1985 et de 2 353 milliards, en 2018. Une multiplication par un peu plus de 3, des années lumières devant l’inflation. Le même site ni celui du budget ne donnent le budget de la France dans les années 80. C'est bien dommage. Les travaux de Piketty montrent qu'il a progressé 3 fois moins vite que la production de richesses. On peut lui faire confiance. D'ailleurs, il suffit de voir que si le chiffre de 100% de dettes publique est inquiétant, elles ne représentent que 15% de nos richesses, ce qui relativise notre endettement... Et prouve que nous nous enrichissons en privé, et nous appauvrissons pour la part mise en commun. 

L'idée n'est pas "de mettre des têtes sur des piques", mais de regarder où est l'argent. Il y a 30 ans, les fortunes en milliards d'euros (donc de 6,5 milliards de francs) n'existent pas, peut être Liliane Bettencourt, et encore. L'envol des richesses du 0,1% commence. Aujourd'hui, les 10 premières familles françaises cumulent 200 milliards d'euros à elles 10. 200 putain de milliards, 2/3 d'une année de fonctionnement de l'État à 10 familles ! Et elles ne font pas mieux, n'ont pas réduit le chômage, au contraire elles l'ont aggravé avec des délocalisations en masse. Elles ne participent pas davantage à l'effort collectif puisqu'elles n'ont eu de cesse de plaider (avec succès) pour la baisse de leurs impôts directs (exit isf, flat tax, bouclier fiscal) et indirects (niche Copé, CICE...). Elles font moins, beaucoup moins, avec plus, beaucoup plus de moyens. Ballot...

Il faut vraiment être doté d'un cerveau malade pour dire à tous de faire plus avec moins, de penser que la fluidité d'applications comme Doctolib et le renfort de "bed managers" va sauver l'hôpital. Doctolib fonctionne quand il y a plus d'offres que de demandes. Dans les déserts médicaux, Doctolib n'est d'aucun recours. Et aujourd'hui, ce qu'il nous manque, ce sont des lits, les bed managers sans beds ne peuvent rien... Idem pour les autres secteurs publiques, il ne faut pas des MOOC et des student managers, mais des crédits pour la recherche et l'enseignement. Idem pour la justice, l'administration pénitentiaire pour lui permettre de réinsérer... Etc..

Imagine-t-on Apple dire qu'ils vont créer de nouveaux produits sans équipes ? Le privé, quand il affiche des ambitions, met des moyens, financiers a minima. Le public a le droit aux mêmes égards. Un peu comme un truc qu'on appellerait la justice sociale. 

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