05/07/2020
La haine
Hier, nous sommes allés dîner dans un de ces micro-restaurants transfigurés par le déconfinement, avec le droit à une terrasse très étendue, sur une place piétonne accolée à un square. Du vert sous les yeux, pas de bruit de voitures dans les oreilles, un régal pour les papilles dans les assiettes, la soirée s'annonçait parfaite. Et puis j'ai dévisagé mes commensaux. Pas de doute possible, Sibeth Ndiaye et Cédric O dînaient à quelques mètres de nous. La menteuse en chef assumée et le petit télégraphiste 2.0 faisaient basculer mon humeur de primesautière à ténébreuse.
En les voyant, je repensais à la lettre de François Ruffin à Emmanuel Macron dans le Monde, le 4 mai 2017, juste avant son élection "vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï dans les classes populaires". Ça n'était pas audible, nous étions à deux jours du second tour d'une présidentielle où Macron était le dernier rempart face à Le Pen. Deux jours plus tard, tout le monde retiendrait les 66% du président élu, pas le fait qu'il ne réunissait pas, loin s'en faut, 50% des inscrits. Seule la France qui va bien l'avait élu. Elle le confirma aux législatives, le soutint aux européennes pour le lâcher aux municipales, les bourgeois de centre ville préférant EELV. La bascule démocratique engagée en seulement trois ans est vertigineuse, en voix. Des millions de dégoûté.es pour qui personne au pouvoir n'a jamais un mot, jamais une décision qui irait dans le sens de leurs revendications.
Des millions de personnes qui ont défilé contre des réformes anti-sociales, parfois en chasuble jaune, parfois derrière des pancartes réclamant la justice sociale, la justice écologique ou le respect de la justice tout court. Rien. Pas un mot et pas un geste pour toutes ces souffrances. La réforme des retraites, suspendue pendant la pandémie, revient déjà au triple galop. Les férias sont interdites cet été, mais la macronie rend hommages aux toreros en agitant mille chiffons rouges. Vendredi, Macron a remplacé Edouard Philippe par Jean Castex, l'architecte de la T2A et à l'origine du délabrement accéléré de l'hôpital public par une accélération de la logique de gestion... Ces choix relèvent de l'insulte permanente, renforce le sentiment d'impunité totale dont se goberge ce pouvoir, persuadé d'être invulnérable car seul rempart au RN, et persuadé aussi que le "front républicain" sera éternellement majoritaire dans ce pays.
Ruffin a eu raison avant les autres. La macronie est haïe comme aucun pouvoir avant. A les voir, je sentais monter des bouffées de haine, j'avais envie d'aller leur hurler dessus et je pense que sans leurs enfants, je l'aurais fait. Contrairement aux curés et aux entraîneurs de patinage artistique, il est pour moi acquis que jamais ô grand jamais, on ne touche aux enfants.
Pendant les manifestations des gilets jaunes, nombre de permanence de députés ont été vandalisés, parfois caillassés, parfois des départs d'incendies. Marlène Schiappa a eu le droit à un rassemblement d'énervés devant ces fenêtres. Benjamin Griveaux une intrusion au trans palette dans son ministère... La haine transpire, mais elle transpire d'autant qu'elle reste sans effet. L'impunité et l'absence de prise en compte du désespoir populaire est dans toutes les décisions.
La haine est mauvaise conseillère. Elle peut pousser à la claustration, ou au contraire à des votes de colère, des actions de colère. La haine brouille la raison. C'est toute la différence entre un Ruffin qui reste au niveau et mène une contre attaque digne et programmatique et Juan Branco qui attaque sous la ceinture. Il ne faut pas céder à ses facilités et tendre la main aux colériques de toute part. Contrairement au film la Haine, Jusqu'ici tout ne va pas bien. Pas bien du tout. Pour autant, le reste est toujours valable : l'important, ça n'est pas la chute actuel, mais l'atterrissage qui peut encore ne pas être un crash.
08:22 | Lien permanent | Commentaires (0)
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