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15/10/2020

Extension du domaine de la résignation

Sur France Culture mardi, Michaël Foessel rappelait fort à propos que "les nouvelles restrictions de libertés ne revenaient pas sur les anciennes, quand bien même leur utilité n'a pas été démontré. Ainsi du port du masque en extérieur, dont on sait désormais qu'il ne sert quasiment à rien et que l'on maintient pourtant, ajoutant de la tristesse à la tristesse ambiante". Je doute qu'en écoutant Macron hier il se soit désavoué, fort au contraire. Nous sédimentons des restrictions, et peu à peu, nous nous résignons à l'idée de pouvoir reconquérir nos libertés passées, quand bien même ce passé est si récent... Et ainsi donc, nous voici repartis pour six semaines de couvercle, mais comme nous avons connu la cuisson à l'étouffée du confinement total, on se dit que ça n'est pas si grave. 

Aujourd'hui, je pense d'abord aux jeunes. Quand Nizan écrivait "j'ai 20 ans et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie", on a envie de lui dire qu'il a pas connu les restrictions du Covid (bon, il a connu la guerre et il est mort d'une balle dans la tête à 35 ans, on peut considérer qu'il a payé un lourd tribut à sa liberté...). Je détesterai tellement avoir 20 ans, aujourd'hui. Personnellement, dans ma vingtaine, je n'ai pris qu'une cuite mais elle a duré de 20 à 30 ans... Pendant cette décennie comme beaucoup, je suis beaucoup sorti sans regarder l'heure (Cendrillon avait la perm' de minuit, maintenant c'est 21h, quelle lose), j'ai bu (trop) j'ai chanté (faux) et dansé (mal). Si on m'enlevait tout ça pour m'obliger à regarder du foot, les débats entre Gabriel Attal et Bruno Retailleau ou un film de Nakache et Toledano, je crois que j'aurais des envies d'implosion... 

En plus de la réclusion chez ces jeunes qui vivent seul.es, qui vont dormir seul.es et trinquer sur Zoom, il y a l'extension du halo de la précarité. Nombre d'étudiant.es choisissent des jobs nocturnes pour avoir leur journée pour travailler. Restos du soir, bars, théâtres et cinémas, voilà comment ils gagnent leurs (maigres) sous. Double peine pour eux et quand la précarité grandit, comment bachoter sereinement ? Quelle guigne...

Je pense évidemment à l'autre côté du temps de la vie. Toutes celles et ceux que la société appelle pudiquement les "séniors". Elles et eux qu'on met sous cloche, dans du coton, eux à qui on rappelle matin et soir que 9 personnes sur 10 qui meurent du Covid ont leur âge. En plus d'être au courant, ils et elles sont prié.es d'attendre chez eux, de ne plus faire de plans quand tout ce qui leur reste, c'est un peu de temps, un peu de projection, la perspective d'un théâtre, d'un ciné, d'un spectacle ou d'un dîner avec leurs proches. On leur dit de s'enfermer pour leur bien et en récompense, ils auront une bûche de Noël partagée, tu parles d'un marché de dupes...

Je pense enfin à toutes celles et ceux qu'on contraint à ne pas bosser en leur promettant le chômage à 100%. Pour un gouvernement qui vante la "valeur travail" et méprise les assistés, c'est pour le moins cocasse. Je pense à mes ami.es comédien.nes, musicien.nes, saltimbanques en tous genres grâce à qui la vie est plus douce, plus belle, plus profonde. Prière de rester chez vous et de ne ressortir que pour faire vos courses de Noël et là on espère que vous cramerez à mort pour relancer le pays. Si vous ne le faites pas, au motif spécieux que vous êtes fauchés (70% de la fameuse épargne étant détenue par les 20% les plus riches, 25% des français se sont appauvris, en 2020 alors eux la bûche et la dinde aux marrons... ). 

Je pense à nous tous, qui nous esquivons joyeusement. Quand ma fille, qui n'a pas encore deux ans, voit une figure connue ouvrir la porte de la maison elle lui saute au cou et lui fait un câlin. Personne ne lui a jamais appris, mais c'est autant le propre de l'homme que le rire. Alors bien sûr, protester, si c'est pour être aux côtés du fan club de Trump et Bolsonaro, des illuminati, non merci. Bien sûr qu'il n'y a aucun courage ou héroïsme à enlever son masque et aller postillonner sur les autres. Mais le débat ne se pose pas en ces termes. Hier encore, Macron disait qu'il fallait "apprendre à vivre avec le virus". Une vie qui s'arrête à 21h, ça n'est pas une vie.