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17/10/2020

C'est quand qu'on regarde ou ?

Hier, en rentrant d'une délicieuse soirée passée portables coupés, dans le carrosse nous ramenant avant minuit, un coup d'oeil aux nouvelles et un sentiment de sidération absolue. "Décapité". "Assassiné parce que prof, parce que liberté d'expression, parce que caricatures de Mahomet". Des mots réservés à Games of Throne où aux territoires de l'État islamique. En France, à Conflans Ste Honorine. 

Ce matin, alors que nous devrions être dans le soutien aux 800 000 profs, à toutes celles et ceux qui vont passer des vacances hantés par l'idée de la reprise et des débats interdits, de l'auto-censure, de la trouille, faire bloc autour de celles et ceux qui ne pensaient pas que cela pourraient arriver un jour, des voix nous hurlent d'ouvrir les yeux et d'agir. Comprenez par là, agir de manière préventive, très forte, avant que ça ne se reproduise. La première question posée à Marlène Schiappa ce matin était "faut-il durcir le texte sur le séparatisme ?". 

Rhétoriquement, l'échec et mat n'est pas loin. Est-ce que la gauche a trop souvent regardé ailleurs sur ces questions ? Sans doute. Sans doute possible. Il y a trop de collusions acceptées, tolérées entre élus locaux et implantations d'associations non républicano compatibles. Surtout, il y a trop de non dénonciation. D'incidents en cours, de pressions de parents d'élèves, de grands frères à la sortie du lycée... C'est un mal endémique qui ne concerne pas que les quartiers populaires, d'ailleurs.

Dans "la tyrannie des parents d'élèves" (Fayard) Anna Topaloff montrait très bien ces lâches soulagements dans des bahuts déjà frappés de mille maux, où l'équipe de direction préférait chercher des fonds pour des excursions et des activités sportives et musicales, que de dépenser de l'énergie à affronter ces coups de pression qu'ils jugeaient inexorables. Mais elle dénonçait aussi les bataillons d'avocats qui attaquaient les profs des lycées huppés qui avaient commis le crime de lèse majesté de mettre des notes sous la moyenne aux bambins de la haute, empêchant toute perspective de classes prépas et grandes écoles. Je ne mets pas les deux sur un pied d'égalité, je dis juste que l'école en tant qu'institution est de moins en moins protégée et respectée. Que partout, on se permet de rabaisser, de diminuer les profs, on les laisse se démerder. Résultat, le nombre de postulant.es aux concours d'enseignement chute d'année en année et je doute que le drame d'hier ne crée un boom des vocations. 

Le drame d'hier est une horreur absolue, il y aura un avant et un après pour l'École, c'est certain. Pour autant, le 16 octobre n'est pas le 11 septembre. Sombrer dans une hystérie accusatrice, marteler la République, la République ! et exhiber des caricatures de Mahomet de partout, hisser les drapeaux et faire chanter la Marseillaise ne résoudra rien. Mais alors rien. Ni hystérie, ni relativisme : il n'y a rien à fouiller dans la biographie de l'assassin qui puisse justifier un tel acte. Rien à dire sur les conditions matérielles de certains territoires non plus. Rien ne peut justifier ce qui a eu lieu hier. Rien. Mais on ne peut pas instiller le poison de la présomption de culpabilité permanente sur les habitants des quartiers populaires musulmans comme le font Darmanin, Zemmour et Bouvet. Dire que le premier séparatisme est avant tout social est une réalité chiffrée incontestable qui n'absout en rien le bourreau d'hier. Avancer sur deux jambes pour résoudre la crise, regarder des deux côtés avant de foncer vers l'ennemi... 

L'idée selon lequel il y aurait un continuum de radicalisation qui commence par de faux certificats d'allergie au chlore pour empêcher les petites filles d'aller à la piscine, qui déboucherait sur une volonté de ne pas se mélanger, de piquer des colères à la cantine si jamais il y a du porc qui finirait, mécaniquement, par des massacres, cette petite musique est prégnante et très sonore. Elle instille l'idée qu'on sait où regarder. Au fond, tous ces gens sont d'accord avec Steve Bannon qui répondait au rédac chef du Jyllands-Posten, premier à avoir publié les caricatures de Mahomet et cherchant à comprendre pourquoi tout ce déluge de haine avec les extrémistes religieux. Il avait raison. Bannon lui a répondu : "le problème, c'est pas l'islamisme, c'est l'islam. Sans islam, pas d'islamisme". Éradiquer l'obscurantisme ne passe pas par une guerre de civilisation. 

Au lendemain des attentats, un slogan fleurissait sur les murs : "il va falloir beaucoup beaucoup d'amour". C'est toujours vrai. Il faudra aussi beaucoup beaucoup de courage pour que les profs puissent enseigner sans arrières-pensées permanentes.