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19/11/2020

Après Obama, abandonnons la quête de l'homme providentiel

A l'occasion de la sortie en grande pompe du premier tome de ses mémoires, on redécouvre Obama en interview. Le contraste avec nombre de dirigeants est saisissant, à tout le moins avec son successeur à la Maison Blanche. Calme, posé, cultivé, ne cherchant pas à diviser, il fait aussi assaut d'humilité. Son Prix Nobel de la paix était "prématuré" et il rappelle qu'il le reçut "le jour où il signait l'envoi de renforts en Afghanistan", avant d'ajouter "au fond, je savais que je n'en ferais jamais assez et jamais autant que j'en avais promis".   

Et c'est là, la grand habileté du bonhomme : là où Sarkozy peste encore contre les français réactionnaires qui n'ont pas compris l'intelligence de ses réformes et Hollande explique son bilan par la trahison de son camp, Obama n'en veut pas aux circonstances, à sa majorité très friable qui l'a empêché de réaliser ses desseins. Non, il en veut au candidat Obama en 2008, qui a sans doute promis plus qu'il ne pouvait. "Une faiblesse inhérente aux campagnes". Et ainsi va le récit d'Obama, un récit où on déplore les drames de l'histoire en acceptant avec "réalisme" que le politique ne pourra plus les changer. Une mystique du renoncement. 

Il a pourtant fait deux mandats, il est resté huit ans à la Maison Blanche. Et si ses mesures furent combattues et écornées par les Républicains, il faut voir que ses ambitions de départ étaient très modestes. Trump a décidé 1500 milliards de baisses d'impôts. 1500. Et c'est passé. Avec une faible majorité. Obama n'avait pas décidé 2000 milliards de hausses d'impôts, au contraire, les riches ont prospéré sous ses mandats. Il n'a pas empêché les expulsions par millions, conséquence des subprimes qui marquèrent son arrivée à Washington. Il n'a même pas empêché la fracturation hydraulique, vraie scandale écologique pour lequel il n'avait pas besoin du soutien de la chambre, qu'il pouvait interdire par décret présidentiel. Il ne l'a pas fait, et la Pennsylvanie, principal état ravagé, s'est vengé en votant Trump, en 2016. Il a proposé un petit Obamacare de départ, raboté par le congrès. C'est mieux que rien, mais c'est pas grand chose... 

En regardant Obama en promo, on oublie la vacuité sociale et la nocivité écologique et fiscal de son bilan face à l'homme providentiel qu'il fut jadis. J'ai vécu la même expérience pendant quelques minutes, la fois où j'ai vu Obama sur scène. C'était le 2 décembre 2017. Je me souviens de la date car je mentirais en disant n'avoir pas été sidéré par sa présence, moi aussi. Il est entré, l'auditorium de la maison de la Radio plein comme un oeuf s'est levé en une fraction et l'a applaudi à tout rompre. Une douzaine d'anciens ministres, des patrons, des éditorialistes, ce parterre VIP perdait toute décence et s'égosillait, comme à un concert des New Kids on the Block. Obama ne cillait pas, agitait poliment une main, sourire en coin et allait agripper le pupitre en souplesse. On aurait dit que plusieurs personnes s'étaient relayées dans la nuit pour coudre son costume sur sa peau tant il tombait parfaitement. Sidéré, donc, par l'homme. Je ne me souviens pas de ses premiers mots, je cristallisais encore. Et puis, la dopamine retombant, je me suis mis à écouter ce qu'il racontait et là, j'ai déchanté sévèrement. 

"Global warming is a real concern". C'est tout, pas un mot sur le gaz de schiste, pas un mot sur les pétroliers, pas un rappel de sanctions très faibles contre BP qui salopa le golfe du Mexique, dans les eaux américaines... Rien. Real concern, quoi. "Europe is stronger when it's united". A lire ses mémoires, Sarkozy ("ce coq nain") et "Angela" s'accordaient pour être d'accord avec lui et ça c'est bien. Tu parles d'une vision de l'unité. De la part d'un mec qui a mis l'Europe sur écoute comme personne (merci Ed Snowden de nous l'avoir révélé) on se pince. Et enfin, à propos de l'hégémonie malsaine des GAFA : "There has been concerns regarding privacy and Facebook, taxes and Apple, and social conditions and Amazon, but I know Mark, Tim and Jeff, all great guys, it's gonna be allright". Circulez, y a rien à voir. Ils pensaient avoir élu le Messie, ils ont eu mais non...  

Le drame, c'est de continuer à chercher l'homme providentiel, alors que soyons honnêtes, on fera jamais mieux qu'Obama en la matière. Cool, jamais une photo en défaut, toujours la vanne juste, la citation adéquate, la posture parfaite. Il parle IA avec les mecs de Google, littérature avec Toni Morrison et basket avec LeBron James. On fera pas mieux pour le storytelling. Tous ceux qui essayent de le copier sont des contrefaçons grotesques : Trudeau, Renzi et évidemment Macron guignent sa com', sa gestuelle, son look, essayent de s'en emparer. Trudeau tient la comparaison physique, en short de boxe, planche de surf ou pantalon de yoga, il assure encore. Mais quand il s'hasarde sur la bibliothèque, ça s'effondre. Pour Renzi et Macron, outre qu'ils sont grotesques en short, leurs vidéos en bureau sont aussi cools qu'Alain Juppé ayant la super pêche. Quelle gêne...

Alors, évidemment, on peut attendre la femme providentielle et on aurait raison. Sommes nous en train de recommencer avec AOC ? Avec Taubira ? On a besoin de role models et on n'a jamais essayé les femmes aux manettes, encore moins les femmes de couleur. Après tout, Merkel et Harden ont bien mieux géré la pandémie que les mecs, de là à en tirer des conclusions essentialistes, il n'y a qu'un pas. Un pas qu'il faut se garder de franchir. Contrairement à Macron ou Trump (pardon pour le rapprochement), Merkel et Harden ne se sont pas placées dans une posture providentielle, elles n'ont pas parlé à leurs concitoyens comme des enfants en décrétant du haut. Elles ont parlé en transparence, en collectif avec les scientifiques. Xavier Bettel, au Luxembourg en a fait de même comme quoi ça ne sont pas nécessairement des vertus féminines. Ces dirigeant.es ne sont pas providentielles, au contraire, c'est en cela qu'elles et lui sont louables. 

Après 40 ans de dérégulation fiscale et sociale et d'aveuglement écologique irréversible, les changements que le politique doit mettre en place ne sont pas loin des miracles bibliques. Sauf qu'il faut les faire en vrai, et rapidement. Si dans les fables, cela peut être l'oeuvre d'un seul homme, dans la réalité, ça ne peut être qu'un collectif.