10/07/2021
Et le partage, bordel ?
Deux grèves récentes surgies dans des milieux opposés témoignent comme jamais de la crise du partage. Enfin, "crise" est un euphémisme puisque depuis quarante nous sommes englués dans un cycle égoïste où l'on partage de moins en moins les ressources, les richesses et le temps. Il y a un mois, les internes en médecine exigeaient de pouvoir travailler seulement 48h par semaine, soit le maximum prévu par l'Union Européenne. S'ils demandent ça, c'est qu'elles et ils en font souvent 70, parfois 80 ou 90 heures. Et l'épuisement d'internes peut avoir des conséquences autrement plus désastreuses qu'un journaliste épuisé qui commet deux fautes de syntaxe ou d'un commercial se plantant sur le prix d'une montre... Un interne se suicide tous les deux semaines, 25% d'entre eux ont des pensées suicidaires et 66% souffrent de troubles anxieux. Nous faisons reposer sur leurs jeunes épaules tous nos manques. De personnels, de moyens, de place accordée à la santé publique et nous leur demandons de combler ces manques en étant des surhumains et en accomplissant seul.e, le travail de deux personnes. La solution existe et peu complexe : péter le numérus clausus et former assez de médecins. Sur les milliers de candidats au concours de médecine chaque année, qu'on ne me dise pas que seul.es 200 ont vraiment le potentiel... C'est d'autant plus urgent de le faire qu'en ouvrant grand les vannes aujourd'hui, nous serons correctement outillés en médecins dans dix ans, eu égard à la durée des études... Urgent de partager.
Cette semaine, dans les tours de la Défense, les salarié.es d'EY se sont mobilisé.es pour les mêmes raisons, parce que l'accord collectif gommait la référence au seuil de 48h hebdomadaires. Pas de suicide de masse chez les consultants, mais des injonctions contradictoires en masse, des burn out à répétition, des personnes qui s'épuisent tant et tant et se dégoûtent tant du travail qu'un grand nombre d'entre eux sont inadaptables après s'être consumé... Toutes et tous ces bac+5 pressurisé.es, jouant le chimérique jeu du "up or out" où si peu montent et gagnent très confortablement leur vie... Le pire c'est que pendant les 70 ou 80 heures hebdomadaires où ils pondent des slides, ces consultant.es prônent la réduction des dépenses publiques, mais pour leurs clients privés, ils prônent aussi les compressions d'effectifs, le "faire mieux avec moins".... Toutes balivernes qui n'ont qu'un but : accroître la marge des actionnaires, permettre aux top managers de gagner plus au détriment du bas de la pyramide.
Quand on évoque ce problème de partage, les libéraux disent invariablement "prendre aux riches, ça vous soulagerait, mais ça ne règlerait pas le problème. Dans une société de 20 000 salariés, si le patron gagnant 2 millions d'euros se payaient comme tout le monde, ça donnerait 100 euros par an à chaque salariés. 8 euros par mois, vous voyez bien que ça n'est pas le problème". C'est un double sophisme : d'abord, rien ne justifie qu'un humain gagne 20 fois plus qu'un autre. Rien. Et que les salaires des PDG ont cru à mesure qu'ils licenciaient et qu'ils enrichissaient les actionnaires. D'un écart de 1 à 10 au début des années 80 avec leurs employé.es, leur salaire est passé de 1 à 30 à la fin des années 90 et 1 à 400 désormais... Je doute que les nouveaux patrons soient 40 fois plus brillants que leurs prédécesseurs... Mais dans le même temps, les sommes empochées par le capital, par les actionnaires, elle a cru dans des stratosphères folles et là, pour le coup, le partage permettrait à ce que tout le monde vive dignement de son travail. Quand Danone a licencié 2 000 personnes l'an dernier, les 2,8 millions d'euros de salaire d'Emmanuel Faber n'auraient pas sauvé les emplois, les 2 milliards versés aux actionnaires, si.
Jamais nous n'avons eu autant de personnes formées, en France. Jamais nous n'avons eu autant de personnes capables de se mobiliser, de donner, de s'engager dans une voie professionnelle où elles trouveront une utilité. Les systèmes égoïstes où l'on exige de quelques milliers de personnes de travailler jusqu'à la mort ou, a minima, jusqu'à l'inaptitude professionnelle chronique plutôt que de faire rentrer des milliers de nouvelles et nouveaux entrants est un système malade. Et c'est le nôtre.
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