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25/09/2021

Fact checking, encore un effort

La candidature de Zemmour rend obsolètes les avancées récentes en matière de fact checking pendant les débats politiques. J'ai eu beau éviter d'être près d'un écran lors des deux heures de débat avec Mélenchon, la presse traditionnelle s'est faite l'écho le lendemain d'un chiffre cité par Zemmour selon laquelle nous serions victimes chaque année de "50 milliards de fraude fiscale". La responsable de la cellule fact checking demande la parole comme un arbitre de foot a recours la VAR et lui dit "nous avons trouvé un chiffre de la cour des comptes qui dit 1 milliard". Zemmour fait du Zemmour, il vitupère et noie le poisson et 30 secondes on est passé à autre chose "parce qu'il faut bien avancer". D'ailleurs Zemmour lui même dit à Mélenchon "plaçons le débat à un niveau plus élevé que les chiffres". Tout en se servant de ces derniers comme personne avant lui... 

Rappelons encore une fois ce que disent Alain Supiot dans "la gouvernance par les nombres" ou Olivier Rey dans "quand le monde s'est fait nombre" : le monde est aujourd'hui si complexe que seuls les chiffres permettent de s'y retrouver et les chiffres sont évidemment malléables. Pour citer Rey : "la statistique est aujourd’hui un fait social total : elle règne sur la société, régente les institutions et domine la politique. L’éducation disparaît derrière les enquêtes PISA, l’université derrière le classement de Shanghai, les chômeurs derrière la courbe du chômage… La statistique devait refléter l’état du monde, le monde est devenu un reflet de la statistique". Et Zemmour joue de ça, de cette détestation de chiffres parfois vides de sens ou incompréhensibles pour avancer des chiffres de l'effroi. C'est une martingale de l'extrême droite, Laurent Obertone fait ça sur l'insécurité et tous leurs nervis le font sur la démographie en inventant des chiffres pour dire que dans 20 ans, les blancs seraient minoritaires en France ; ça n'est même plus une fadaise, c'est une folie.

Tout le monde joue avec les chiffres, en politique. Tout le monde. Certains parlent de 3 millions de chômeurs, car c'est le décompte Pôle Emploi, d'autres poussent jusqu'à 6 millions et le chiffre peut s'entendre aussi car il y a bien 6 millions de personnes qui ne travaille pas autant qu'elles le voudraient. On peut tordre et démonter la croissance (et son utilité), les fermetures de lits, le temps de travail réel ou encore les écarts de salaire entre femmes et hommes, selon qu'on parle à compétence égale, à diplôme égal ou dans l'absolu, en comparant des métiers incomparables, mais ce qui a le mérite de prouver que les femmes vont vers des métiers moins bien payés que les hommes. Bref, quand on joue avec les chiffres sur un ring commun, on avance, on décortique, on dissèque. On boxe.

Zemmour ne boxe pas, il catch. Comme Trump. Tout est "fake". Deux chiffres existent sur la fraude sociale : la détectée, 1 milliard d'euros et la suspectée "jusqu'à 6 milliards d'euros". L'estimation très haute de la fraude potentielle est de 6 milliards, l'équivalent de suspicion sur la fraude fiscale est de 120 milliards par an. Mais gardons 6 milliards, c'est le chiffre haut sur lequel on pourrait débattre, Zemmour dit 50 en sortant ça de nulle part et refusant de justifier, tout juste se hasarde t'il à dire qu'il y a "des millions de fausses cartes Vitale en circulation". Or, la différence la plus forte entre la fraude détectée et celle suspectée, ça ne sont pas les arnaques aux allocations ou les fausses carte Vitale, comme aime le dire Zemmour, mais les paiements en espèce et la fraude à la TVA. Et contrairement aux insinuations de Zemmour qui aime à dire que le gros de la fraude serait le fait de migrants, d'étrangers, oisifs, mais qui abuseraient de la générosité de français, elle est le fait d'actifs qui refusent les cotisations sociales, les URSSAF et la CIPAV pour financer la sécu et les communs. Il y a des artisans dans le lot, amnésiques de la CB dans leurs échoppes ou leurs menus travaux, mais aussi des dentistes et des chirurgiens qui proposent un tarif en carte et un autre, bien moins onéreux, en espèce pour les opérations non remboursées par la sécu... Et c'est moins important en nombre, mais très important en montant total. 

Alors, évidemment, c'est plus long à dire, à démontrer, mais on doit monter le fact cheking chiffré d'un cran face à des affabulations, les mettre longuement face à leurs délires. C'est la même chose sur ses chiffres sur l'immigration où Zemmour inclut le premier contingent de personnes qui viennent en France chaque année, les étudiants, en oubliant de dire qu'ils repartent... Journalistes de France, encore un effort sur le fact checking si vous voulez qu'on reste républicains...