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18/12/2017

Pro européen, mais encore ?

De tous les débats politiques actuels, le plus escamoté, le plus biaisé, le plus honteux, est sans conteste celui sur l'Europe. Ce qui s'est passé ce week-end est consternant, catastrophique, accablant pour quiquonque aime la démocratie et ça n'est malheureusement pas une surprise. Il ne s'est rien passé. Rien. Le nouveau chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a délégué toutes les fonctions régaliennes de son gouvernement (notamment l'immigration, mais aussi les affaires étrangères à des membres d'extrême-droite), dont certains ont milité dans les jeunesses néo nazis. Personne n'a menacé l'Autriche. Personne n'a émis ne serait-ce que l'idée de sanctions, de remontrances. Attendu qu'on nous vend un gouvernement continental comme avenir, cela signifie qu'on pourrait inoculer (à dessein..) des Commissaires Européens issus des nostalgiques du Reich et que personne n'y trouve rien à redire. L'important, c'est que l'Europe avance, qu'elle abaisse ses impôts, ses barrières douanières, ses normes environnementales, le reste...

Au plus profond que je pousse mon introspection, je ne suis plus capable de dire si je suis "européen" tant ce vocable est vide, politiquement. Je l'ai été avec assurance, j'étais sûr que tout de même un grand ensemble dans un grand monde, c'était cohérent. Ca n'est plus le cas. Ma tradition politique est internationaliste, tous les arguments sur Erasmus, la paix, les grands chantiers à venir, OK, pourquoi pas, mais si je prenais une feuille et que j'inscrivais des "++" et des "--" en face le résultat serait aussi déficitaire que la holding de Patrick Drahi...

Depuis 2005, l'Europe a cessé d'être un espace démocratique. Une consultation colossale pour le projet de Constitution, un rejet massif et hocus pocus le texte repasse à l'authentique en 2008. Electeurs européens, vous reprendrez bien un peu de salade de couleuvres ? Elle a été livré en 2010 depuis la Hongrie. La Hongrie, à peine 10 millions d'habitants, une économie précaire : pas exactement la puissance politique nécessaire pour faire vaciller l'édifice continental. Et pourtant si. Depuis 2010, Orban bafoue allègrement tous les principes supposément fondateurs de l'Union, défonce la liberté de la presse, d'expression, de conscience, entretient un climat raciste, islamophobe, homophobe, antisémite et a même fait passer une loi autorisant la police à tirer sur les migrants qui tentent de sauter par dessus les barbelés. Des lois ouvertement fascistes, ouvertement incompatibles avec la démocratie la plus précaire, la plus faible. Dopés par cette ordure d'Orban, d'autres pays de l'est européen se sont largement brunis depuis. D'autres pays modestes (Bulgarie, Slovaquie) un autre plus compliqué avec un épigone de Trump (République Tchèque) et surtout la menace polonaise. La Pologne et ses 39 millions d'habitants désormais dirigés par les ultras réacs du PIS. J'espère sincèrement que toute cette note sera caduque demain, que l'ultimatum lancé par Juncker sera suivi de sanctions. Mais rien qu'à écrire que le garant de la justice européenne est celui là même qui a couvert un gigantesque système de fraude fiscale dans son pays, je suis saisi d'un doute. Là bas, saccage de la presse, limitation des droits des femmes, des homos, des migrants, casse sociale, état policier. Voyant cela partout en Europe, que signifie réellement être "pro européen" ? 

L'an prochain, la présidence tournante du conseil de l'Union Européenne sera confiée à la Bulgarie puis l'Autriche, deux pays où fleurit l'extrême-droite. Une bien belle vitrine sur le monde. On peut déplorer le Brexit, le départ des Catalans et de tous les autres, mais qui prend encore le temps de dépeindre les horreurs qui se passent parmi ceux qui restent ? Les critiques contre "les souverainismes" ne sont tout bonnement plus audibles quand le fédéralisme est inhumain et accepte sans mal le fascisme car ce dernier a toujours bien cohabité avec les marchés. En 2019, nous aurons à nouveau de grandes élections européennes. Le premier qui me fait chier avec un vote anti-européen, je l'oblige à regarder les journaux autrichiens, polonais, bulgares, hongrois, slovaques, tchèques... 

13/12/2017

Mal aimé, isolé, extrémiste, Wauquiez ? You cannot be serious

La synthèse des titres de presse sur l'élection du Président LR donnerait quelque chose comme "le plus dur commence pour le mal aimé de la droite qui va voir sa famille se décomposer". Hier, la Une des éditions matinales était ainsi consacrée au départ de Xavier Bertrand comme un nouveau signe de l'Armageddon qui pointerait à droite. Après la défection de Christophe Béchu et le refus d'accord de Jean-Christophe Lagarde, on ne présente plus Wauquiez que comme un avion sans ailes, un type à la tête d'un tas de ruines, un sectaire qui fonce vers la défaite en klaxonnant. Je suis peu susceptible de fascination ou d'admiration pour Wauquiez, mais ne pas voir que ce monsieur sait parfaitement ce qu'il fait est un peu navrant...

Wauquiez a deux modèles, Sarkozy et Trump, et la synthèse des deux pourrait l'emmener très loin. Grâce au premier, la désaffection de son camp, il s'en cogne royalement. Résumer Sarko au chef sans contestation de son parti que les médias encensaient est un non sens historique, une méconnaissance crasse, une amnésie douteuse. Avant de laisser l'usure du pouvoir présidentiel éroder sa popularité, Sarko, a connu les affres de la figure du traître avec une puissance incomparable à ce qui touche aujourd'hui Wauquiez. Il faut lire les mémoires de politiques lorsque Jacques Chirac l'emporte en 1995. Le rassemblement du RPR triomphant pour fêter son président, les acclamations bruyantes pour tous les membres de la famille le soir de la victoire. Tous ? Non, l'un a avancé sous les lazzis, les huées et même les crachats alors qu'il se frayait un chemin vers l'estrade des officiels. Mâchoire serrée, ne lâchant pas la main de Cécilia, le Sarkozy de 1995 a subi un walk of shame plus violent que celui de Cersei Lannister. C'est même dans la détestation de son camp qu'il a trouvé le carburant de la reconquista de la droite. Un quarteron de fidèles (Guéant, Hortefeux), quelques jeunes (Solly, Martinon) et une tête pensante dans la dernière ligne droite (Emmanuelle Mignon) il n'en a pas fallu plus à Sarkozy pour s'imposer à toute la droite où il était unanimement détesté. Haï. Et isolé. A côté, Wauquiez est un angelot à la tête d'une armée.

De Trump, Wauquiez a retenu que dans une période de passions chaudes, les faits et la rigueur n'étaient pas nécessaires pour emporter une élection. 78% des propos prononcés par Trump lors de la campagne 2016 étaient des mensonges. Pas des opinions, des points de vues forcés, des jugements à l'emporte pièce ou des exagérations. Non, des purs mensonges, des faits erronés... 78%. Y a de la marge. Alors, certes, nous ne sommes pas les US, mais le complexe de supériorité qui nous anime par rapport aux Etats-Unis n'a pas lieu d'être. Ici aussi, on peut désorienter (pour éviter le trop connoté "manipuler") les foules avec des pelletés de bobards et Wauquiez l'a bien compris. Il a parfaitement appris à désapprendre, depuis des années. Le normalien agrégé a appris patiemment à disloquer sa syntaxe, sa grammaire, son vocabulaire pour "faire peuple". De ses cheveux gris à sa parka rouge, de sa grosse montre à ses fautes d'accord, tout est fake chez Wauquiez. Ca n'est plus une fake news, mais un fake candidat. Dans une époque où la vérité est malmenée, pas sûr que ça soit un handicap...  

Or, toutes les analyses ce matin convergent pour dire l'erreur stratégique de la droitisation de Wauquiez. Ce matin, Thomas Legrand nous explique en somme qu'il y a deux droites en France, une modérée et une réactionnaire. La modérée finirait par aimer le mariage pour tous, l'écologie et les immigrés, la réactionnaire serait bonne aux orties... Les 2 millions de personnes descendues pour manifester contre le mariage pour tous ? Gommées. La même erreur n'a pas voulu voir le triomphe de Fillon, l'an passé. Et sans Pénélope, il était évidemment élu, attention à ne pas refaire l'histoire... Ce sont les mêmes analyses qui n'ont pas vu la montée des populistes en Pologne, en Hongrie et évidemment, de Trump. Car Obama puis Hillary Clinton ont fait des propositions tout à fait semblable à ce que fait Macron aujourd'hui. Résumer la victoire de Trump au surmoi raciste et misogyne des Etats-Unis est une bourde lourde. Partout dans le monde, le progressisme engrange des adversaires farouches. Wauquiez l'a bien compris. On peut (c'est mon cas) mépriser, détester, déplorer Wauquiez, c'est sans doute une marque de salubrité intellectuelle. Mais le sous-estimer, en revanche, l'histoire nous apprend qu'il ne faut pas. 

06/12/2017

Charité sans solidarité n'est que ruine du pays

En juin dernier, Amancio Ortega, le fondateur de Zara, a fait un don de 320 millions d'euros aux hôpitaux publics espagnols. Mariano Rajoy était ravi. Il a remercié le grand homme. Nombre de responsables associatifs, des militants, des soignants, en masse, ont appelé à refuser le don. Leur mot d'ordre était "nous voulons la justice fiscale, pas la charité". Comment ? Quels bande d'ingrats que de refuser un don aussi conséquent ? Comment pouvaient-ils être aussi butés, bornés, pour refuser si belle offrande. C'est vraiment le problème des gauchistes d'avoir un problème avec le succès, la réussite et d'avoir le toupet de voir un salaud en quelqu'un qui offre 320 millions d'euros pour la bonne cause...

La fortune d'Amancio Ortega est estimée à 77 milliards de $. Ce don de 320 millions d'euros est une goutte d'eau, non pas par rapport à sa fortune comme on voudrait résumer le débat, mais par rapport à ce qu'il a soigneusement éviter de payer au fisc espagnol depuis des décennies. Le problème est double : éthique et économique. Ethique, car pour amasser une telle fortune, Ortega a commis de horreurs : Zara est régulièrement épinglé pour le travail des enfants, en Turquie, en Syrie. Des cadences à la chaîne qui n'ont rien de moderne et pas grand chose d'humain, des conditions de production écologique peu compatibles avec nos impératifs de changement... Si la mode est la seconde industrie la plus polluante au monde et la première à dégrader les conditions sociales (selon Oxfam), Zara est sans conteste parmi les trois principaux coupables, en termes d'ampleur. Et au sommet de cette pyramide de saleté, 77 milliards. L'insanité de cette fortune, la folie, l'infamie. Effectivement le problème n'est pas les 320 millions donnés ici, mais les dizaines de milliards volés. Ce que nous rappelle ceux qui s'opposent au don, c'est qu'Ortega n'est pas généreux, au contraire, il est ultra pingre et n'a pas payé ce qu'il doit. En donnant cette obole, largement défiscalisée ça va de soi, Ortega tente ce que faisaient tout bon catholique ayant commis moult pêchés dans leurs vies : acheter des indulgences pour aller quand même au ciel. L'église ayant besoin d'argent pour construire des cathédrales, les recouvrir de feuilles d'or et engraisser le clergé, elle acceptait volontiers. Elle avait aussi ses oeuvres, ses bons pauvres, ses hospices. Pas de souci, la charité privée n'est pas un souci, en soi. Le problème c'est quand la puissance publique oublie qu'elle est fondée sur la solidarité entre les membres de sa communauté et accepte de substituer à cette logique celle de la charité. Pour le dire d'un mot en détournant Rabelais, "Charité sans solidarité n'est que ruine du pays". Le compte n'y est pas et les dizaines de milliards détournés éhontément par les ploutocrates n'est pas compensés par les quelques centaines de millions qu'ils redistribuent chichement. Ne pas se laisser abuser.  

Bien sûr, en attendant, il est tentant de succomber. Personnellement, quand des grandes fortunes font des dons, organisent des galas de charité ou autres au profit d'associations pour lesquelles je suis engagé, il est difficile de dire non. Mais une association n'est pas un Etat et tout le monde doit avoir ses lignes rouges : accepter un don d'une fondation respectable, ça n'est pas prendre l'argent de Dassault. A chacun son examen de conscience.

Nous avons aussi en France, nos Amancio Ortega, mais en plus pingre. Maintenant que Liliane Bettencourt n'est plus, il nous reste Arnault et Pinault, Bolloré et Niel. Les deux premiers dépensent leurs immenses fortunes dans des collections d'art contemporain et de grands crus de vins dans l'unique but de spéculer. Bolloré abondent des hôpitaux privés au pays de la sécu publique, et Xavier Niel, qui se présente partout comme un grand mécène, fait tout payer dans sa Station F, y compris les locaux loués par la Fondation la France s'Engage, dédiée à l'accompagnement et aux financements de projets d'intérêt général. En sommes nous avons des ultra riches qui se soustraient à la solidarité et en même temps, ne sont même pas charitables : ça justifie de lâcher la cordée...