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14/09/2018

Vertige de la haine

Hasard du calendrier. Hier, quand Emmanuel Macron a présenté son plan pauvreté pour tenter d'aider les 9 millions de pauvres à s'en sortir, je m'entretenais avec des économistes spécialistes (critiques) de l'optimisation fiscale d'une part, et un investisseur dans le numérique, d'autre part. Tous parlent de la même époque. Du même pays. Partent d'une même réalité. Mais ça n'est pas le même monde. Ca ne peut pas être le même monde. Pas "en même temps".

D'un côté, on parlait de repas à la cantine à 1 euros pour les plus démunis. Une mesure qui rappelle le verre de lait dans les écoles, de Pierre Mendès France. Comme si nous en étions toujours à la France de l'après-guerre, aux tickets de rationnement, à la folie que constituait le rôti du dimanche. Le catalogue de mesures contenues dans le plan rappelle ce que c'est que le quotidien d'un français sur six. Compter, compter, compter. L'angoisse d'une toute petite baisse, un rien du tout, 5 euros d'APL ou autre sou qui viendrait à manquer. On se rappelle les "émeutes du Nutella", on pense aux ruées vers les bonnes affaires... Hier soir, alors que j'allais dîner chez des amis, des SDF m'enjoignaient, la bouche en coeur, à partager leur festin : les restes que le boulanger jetait en fermant boutique. "De la super came", m'assuraient ils. J'ai décliné d'un sourire gêné. Je me suis engouffré dans l'immeuble ami en poussant un lâche soulagement : on ne meurt jamais de faim, en France, mais de froid et d'isolement, si...

Et, "en même temps", donc. Le matin, on me parlait de cet entrepreneur qui alpaguait les fonds en disant : "je ne veux pas d'un exit à 50 millions d'euros", version moderne et décomplexée du célèbre "pour 100 briques t'as plus rien" qui devait déjà symboliser les années fric. Non, il ne voulait pas 50 millions, soit une somme suffisante à créer des rentiers pour plusieurs générations. Ca n'était pas assez pour lui. Il visait le milliard, crânement. Le "pourquoi" ne faisait pas partie de ces questionnements, limités au seul "combien". Alors que nous poursuivions nos échanges, les embauches étaient plus incertaines que les destructions d'emplois. Ces investisseurs du nouveau far west se raccrochent aux chiffres comme d'autres aux bouées, c'est leur seule certitude. Mais tout sonne virtuel dans leur monde, y compris les fortunes.  

Le même matin, Marianne avait révélé une enquête du trésor public disant que le total de l'évasion fiscale est désormais de 100 milliards d'euros annuels. 50 plan pauvreté. Cin-quante. Fifty. Je ne sais plus comment l'écrire tant les sommes en jeu sont démesurées. A force, j'en viens à me questionner la réalité de ces chiffres, de ces richesses. Elles nous sidèrent par leur ampleur, par leur irréalité. Pourtant, elles sont là, ces sommes casinos. Elles sont ailleurs, mais elles sont là. Elles ne servent à rien. Un parasite mondain à beau s'époumoner, voyager en jet privé, écluser du Ruinard toute la journée, ils n'arrivent pas à dépenser les sommes insanes qu'ils amassent en bourse. Et ils vivent dans le même pays que ceux qui attendent que le boulanger jette son pain pour pouvoir manger. Quand je pense à ces deux moments, je suis pris de vertiges de haine. Une régulation de ces insanités me semble aussi irréelles que leurs fortunes. Viendra bien un jour où quelqu'un de ces nababs finiront éviscérés réellement. Et comme pour toutes les révolutions de l'histoire, la violence physique ne sera qu'un rattrapage des violences symboliques et sociales qui auront trop duré.  

 

 

 

09/09/2018

Secret des affaires, secret des enquêtes, investigations à l'envers

Si les décideurs des rédactions inversaient les moyens mis à enquêter sur le secret des affaires industrielles et économiques avec ceux mis à fouiller les poubelles des enquêtes judiciaires, quel beau pays s'ouvrirait sous nos yeux. À une époque où le harcèlement sexuel est enfin dénoncé justement, on devrait parler de harcèlement journalistique quand celui-ci concerne des sujets sur lesquels le silence devrait prévaloir. Ainsi ce matin, je ne sais plus quelle journaliste (Hélène Jouan je crois) s'est prise pour une Torquemada en sommant Florence Parly, ministre des armées, de donner des nouvelles de l'otage Sophie Pétronin au motif que son fils est parti essayer de remuer les choses sur place et que, dès lors, "les français ont le droit de savoir".

Il est à la portée de n'importe quel demeuré de comprendre, s'il y réfléchit deux secondes, que la publicité ne peut être une ligne à adopter pour les pouvoirs publics. Que les ONG fassent de l'agit-prop pour maintenir la pression, c'est leur rôle. Rôle souvent salvateur lorsque des journalistes sont retenus otages ou prisonniers : l'action de RSF notamment a urgé les décisions politiques, mais toujours avec un strict respect du silence autour des négociations. On sait qu'elles existent, à quoi bon vouloir des précisions qui peuvent s'avérer mortelles ? De même, je suis peu susceptible de compassion envers Gérard Collomb, mais entendre des tas de questions (un tiers d'interview d'une matinale cette semaine) sur la traque de Rédoine Faïd a de quoi laisser pantois. Vous ne voudriez pas non plus que le ministre de l'intérieur vous indique les localisations des voitures qui planquent devant le braqueur et leur plaque d'immatriculation ? Evidemment, interrogés sur ces questions sensibles, les responsables publics sont gênés aux entournures car il n'est pas facile d'expliquer dans un monde qui a fait de la transparence un impératif moral que "certaines choses doivent restées cachées". Et ainsi, les petits marquis de l'interview conservent une apparence respectable en allant chercher la petite bête. Tartuffes....

Car sur les sujets où l'opacité continue, les questions se font moins pressantes. La loi sur le "secret des affaires", les concentrations capitalistiques des principaux médias du pays dans les mains d'une poignée de milliardaires plein d'intérêts ne sont évidemment pas étrangers à cette doucereuse esquive des sujets qui fâchent... On songe évidemment à Bolloré qui menacent violemment toutes les équipes qui investiguent sur ses affaires en Afrique. Niel aussi qui goûte modérément les sujets évoquant, secret de polichinelle, les tensions sociales chez Free. Bernard Arnault avait été moins sybillin dans son opposition : après avoir lu son nom dans les Paradise Papers, la première fortune de France avait coupé tous les investissements publicitaires du groupe LVMH dans les titres qui osaient égratigner le magnat. Ce climat d'omerta explique la peu glorieuse 33ème place de la France au classement de la liberté de la presse. Et encore ne voit-on que les attaques directes, mais quid de toutes les affaires non creusées, comme les liens évidents entre LREM et Unibail Rodamco, premier promoteur de centre commerciaux en France et qui comptait encore dans ses rangs il y a 20 mois Benjamin Girveaux comme directeur lobbying et dont l'actuelle DG, Astrid Panosyan est en même temps très présente à LREM (elle n'occupe plus de fonctions électives au sein du mouvement, mais a accompagné le début du parti jusqu'il y a un an). Quand des moratoires pour empêcher l'extension des centres commerciaux sont repoussés, croyez-vous que cela se passe par opération du saint esprit ou suite à des actions appuyées ? Libération avait levé le lièvre, mais les autres titres n'avaient pas embrayé. La lutte du pot de terre contre le pot de vin est inéquitable. Idem, quand Alexis Kohler est tricard jusqu'à la moelle par Médiapart, comment expliquer que les autres rédactions n'embrayent pas ? Dans la réponse à cette question purement rhétorique se niche quelques dysfonctionnements de notre démocratie. 

04/09/2018

Commentaire des réformes : nous prendrait-on pour des truffes ?

Comme aurait dit Desproges à propos de Séguéla : de deux choses l'une, soit les commentateurs politiques nous prennent pour des cons, et ça m'étonnerait quand même un peu. Soit les commentateurs politiques ne nous prennent pas pour des cons, et ça m'étonnerait quand même beaucoup ? Le célèbre triple temps de la valse des gazetiers "on lèche, on lâche, on lynche" s'accélère follement depuis quelques décennies. Mitterrandôlatres jusqu'au bout (Jean d'Ormesson mis à part), désintéressés de Chirac, ils ne lâchèrent Sarkozy définitivement qu'à mi-mandat avec le discours de Grenoble de sinistre mémoire. Pour Hollande, les choses allèrent beaucoup plus (trop) vite, avec les efforts de l'intéressé qui ne comprit pas que répondre en direct à la télévision à une adolescente kossovare ne pouvait conforter son éthos présidentiel... 

Pour Macron, les choses semblaient revenir à la normale. Franchement épris, à la limite de la fascination ou de la transe pendant la campagne, les commentateurs ont un peu prolongé la lune de miel. Soit. Après tout, que des médias à la ligne libérale soutiennent un candidat libéral, c'est dans l'ordre des choses. Ce qui l'est moins, c'est la violence du retournement de ces mêmes titres qui sont désormais à deux doigts de qualifier le président d'escroc, d'amateur, d'eau tiède ou de petit bras. Aberrant. Aberrant et franchement injuste, au fond.

Injuste car nombre de titres ont expliqué qu'il fallait des big bangs pour secouer les conservatismes comme mettre fin à l'ISF ou en finir avec des régimes spéciaux, des ordonnances sur le travail (moins 40% de litiges aux Prud'hommes depuis le vote de la loi, quand même) et bien sûr le scalp des cheminots à la SNCF. Macron y met fin, fit tout ce qu'il avait dit. En repensant au printemps dernier, imagine-t-on, comptabilise-t-on combien de dizaines de Une ont vanté, la bouche extatique, l'élan réformateur qui, enfin, touchait le pays ? Peut-on relire avec le recul de six mois et non soixante ans, l'urgence qu'il y avait à faire absolument cette réforme de la SNCF qui allait "tout" changer, car c'était "symboliquement énorme" cela prouverait que "la France pourrait bouger", que nous étions, enfin, entrés dans le concert de la modernité. Il y a à six mois à peine. Il y a six mois déjà. 

Que nous disent les mêmes gazettiers aujourd'hui ? Roland Cayrol ou Bruno Jeudy par exemple, lâchent en choeur "les français réalisent que ça n'a aucune influence sur les transports, sur l'emploi, sur le pouvoir d'achat". A part de braves bardes comme Christophe Barbier pour dire que les retraités amputés du pouvoir d'achat pèsent peu car ils seront morts en 2022 ou Brice Couturier, peu de voix désormais pour chanter les louanges présidentielles.

Cette hargne qu'ils manifestent contre Macron mériterait un bien beau droit d'inventaire. Macron fait mot pour mot et au chiffre près ce qu'ils avaient jugé nécessaire pour relancer l'économie. La moindre des élégances serait de reconnaître que le président s'est trompé... mais eux avec. Il faut être deux pour danser le tango et quand on fait profession de tancer les responsables publiques aux manquements avec l'honnêteté intellectuelle, on doit s'appliquer la même sévérité.