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05/04/2010

Frédéric Martel est-il un con ?

Vendredi soir, je suis allé voir le spectacle de l'humoriste Ged Marlon. Je ne vous en parlerai pas pour pas vous faire bisquer, car c'était la dernière, mais si vous tombez dessus en DVD, prenez. Ged, c'est l'homme des brèves de Comptoir dans "Palace". Un ancien champion de lutte tout mince qui fait un extraordinaire travail sur le jeu de scène et qui a quelque chose de rare pour un humoriste: un univers. Il est aérien, poétique, virevoltant, souvent subtil toujours hilarant. Voilà, c'est dit mais c'est pas mon sujet.

J'ai écouté sur les podcasts d'Inter, Frédéric Martel pour son ouvrage Mainstream et j'ai bien rigolé... Comme je ne croyais pas que l'on puisse être sot à ce point et puisque pour critiquer la vulgarité, il faut s'y intéresser, je suis allé chercher le livre que j'ai parcouru avec une consternation presque jamais démentie (le garçon est capable de saillies). Pour vous éviter un fastidieux pensum, voilà le projet du livre résumé par l'éditeur:  « Comment fabrique-t-on un best-seller , un hit ou un blockbuster ? Pourquoi le pop-corn et le Coca-Cola jouent-ils un rôle majeur dans l’industrie du cinéma ? Après avoir échoué en Chine, Disney et Murdoch réussiront-ils à exporter leur production en Inde ? Comment Bollywood séduit-il les Africains et les telenovelas brésiliennes, les Russes ? Pourquoi les Wallons réclament-ils des films doublés alors que les Flamands préfèrent les versions sous-titrées ? Pourquoi ce triomphe du modèle américain de l’entertainment et ce déclin de l’Europe ? Et pourquoi, finalement, les valeurs défendues par la propagande chinoise et les médias musulmans ressemblent-elles si étrangement à celles des studios Disney ?". J'ai laissé les passages en gras soulignés par l'éditeur, sans doute pour vous aiguiller, des fois que vous ne sachiez pas lire... Intéressant hein ? Oh, surtout lecteur ne répond pas "non", Martel t'attend la dessus !!! Tu DOIS t'y intéresser, les blockbusters, c'est la vie, que ça t'intéresse ou non, tu DOIS désormais aller voir le film de l'été avec Cameron Diaz et tout ce qui est bankable, espèce d'amateurs de ciné pour smicards...

Dans le fond, je crois que Frédéric Martel incarne l'ultime trahison des clercs: c'est un élitiste refoulé.

Névrose de l'époque. Mitterrand passait sa vie à lire les romantiques, Chardonne (beurk) et Morand (discutable); Chirac préférait les intrigues d'Orient et de Russie. Sarkozy, lui, concède: "bien sûr je regarde le Tour de France, comme des millions de français. Le Tour de France, les Ch'tis et Marc Lévy. Bien sûr je lis Marc Lévy, ce mec vend des millions de bouquins, il faut comprendre ce qui intéresse les Français. Si je veux pas m'y intéresser, je change de métier". Evidemment, on peut pouffer en disant que tous les autres hommes d'Etat ont mieux à faire que de comprendre Lévy, Boon, et le Tour de France, toujours est-il que le pouvoir aujourd'hui s'incarne là-dedans. Or, Martel veut le pouvoir. Prenons le pedigree du jeune homme: journaliste à France Culture (élite), il a publié il y a 4 ans, une somme bien documentée et très intelligente "de la culture en Amérique" chez Gallimard (re-élite). Le livre est excellent et a été salué par la critique, mais Fredo n'en a cure: il veut de la fraîche et des spotlights, être in.

Donc, là, il publie son livre chez Flammarion. Pourquoi ? Sans doute parce que la patronne de Flammarion, Teresa Cremesi était l'ancienne éminence grise de Gallimard. Je hasarde l'hypothèse qu'elle a dû le débaucher mais sans certitude. Toujours est-il que chez Flammarion, on lui a assurément promis un coup. On parle tout de même de l'éditeur de Ennemis publics la correspondance par mails de Houellebecq et BHL... Le livre qui a fait trembler l'intelligentsia française. Martel soigne son plan média, et ça marche: invité chez Demorand, JDD, BFM, une couverture rare pour un essai culturel... Sauf qu'évidemment, il est question de "l'industrie culturelle et de son économie", comprend lecteur ignorant qu'aujourd'hui la culture c'est de la géopolitique, si tu n'as pas compris ça tu es un coq demeuré et ratiociné....

Martel anglicise toutes ses expression et distille soigneusement des références à l'intention de ses interlocuteurs pour les rassurer sur la teneur culturelle de l'opus : Chéreau, Koltès.... Ce sont des codes pour élitistes, pour happy few, des auteurs mainstream pour l'élite. Chereau et Koltès sont confiné mais reconnus, ils ne sont pas dérangeants: vous noterez que Martel ne se hasarde pas à citer Raymond Cousse, Gilles Châtelet, Pialat ou autres, curieux, hein ? Il aime les rebelles beau à la caméra, un soupçon d'effronterie, surtout pas de pensée critique.

Martel veut le beurre (le succès), l'argent du beurre (bling bling) et comme cul de la crémière, il voudrait l'onction de la critique. Il voudrait qu'on le reconnaissance comme un "penseur de la modernité" capable d'avoir levé des tabous. Mais, comme disait un vieux prof à propos de Malraux, "Martel tes idées justes ne sont pas neuves et tes idées neuves ne sont pas justes". La culture comme moyen d'hégémonie géopolitique ? Je me souviens d'avoir appris ça en 3ème, il y a plus de 15 ans... Le coca-cola, Mc DO, et les séries américaines, tout ça au fond : même combat. "American way of life for everyone", je vois pas ce qu'il y a de nouveau... Ensuite, sur l'Europe qui ne saisit rien, c'est d'une connerie... Regardez ces ambassades, ces missions, ces sites internet qui fleurissent... Regardez ces séries que l'on exporte en tâtonnant: sous le soleil est la fiction européenne la plus exportée dans le monde, ça donne à réfléchir... On tente Monsieur Martel, on tente, mais on a 25 langues et pas les mêmes moyens... Et de toute façon, l'uniformisation culturelle n'est pas une vision du monde...

Demain, pour changer, nous parlerons d'un grand livre qui vient aussi de paraître et qu'on préférera au déchet éditorial sus-mentionné, "Hammerstein ou l'intransigeance" (Gallimard), la biographie romancée du général en chef de l'armée allemande qui, refusa à jamais de collaborer avec les nazis jusqu'à sa mort en 1943, exhortant ses proches à se détourner d'Hitler en disant, dès 1933 : "la peur n'est pas une vision du monde". Je trouve que ça vous pose un bonhomme...

 

Commentaires

je pense vraiment pas lire le livre, mais c'est peut-être plus un manque de curiosité de ma part que le signe que c'est mauvais. bon, un blog, c'est critiquer ? peut-être aussi. mais écrire un livre, c'est dur.

Écrit par : ema | 05/04/2010

@ Ema: j'encense souvent ! Demain, je parlerais de "Hammerstein ou l'intransigeance", pourrait aussi parler de "danse danse danse" du toujours virtuose Murakami, mais quand un type écrit une sombre daube et gagne plein d'argent avec, on peut dire que c'est une sombre daube...

Écrit par : Castor Junior | 05/04/2010

J'ai entendu un bout de l'émission de Demorand à laquelle F Martel était invité. Poser la question (certes pas très nouvelle, mas il n'empêche) de l'uniformisation de la culture n'est pas forcément inintéressant; il faudrait voir aussi si justement la culture américaine reste exactement la même où qu'elle soit importée ou si les «autochtones» la digèrent et l'amalgament un peu à leur sauce. Ce qui était déconcertant, à vrai dire un poil énervant, c'était le vocabulaire de F Martel, on aurait dit un chargé de com ou un pro du management…

Écrit par : Yola | 06/04/2010

Complètement d'accord sur Martel !!!! "baseline" "asset" "motion pictures"... Cela dit, la grande force des ricains reste qu'à Paris, New York, Bombay Pekin ou Yamassoucro, a big mac is a big mac...

Écrit par : Castor Junior | 06/04/2010

salut,
je suis en train de lire le livre que vous fustigé, Mainstream. Je ne comprends pas votre acharnement : cette enquête sur le fonctionnement des (nouvelles) industries créatives a au moins le mérite d'avoir été menée dans des dizaines de pays ("choc" des cultures) et les interlocuteurs de Martel exposent des points de vues différents... En tant que cinéphile, j'ai aimé les chapitres sur le fonctionnement de studios et de la nouvelle définition de "critique" d'art made in USA.

Écrit par : lolajim | 08/12/2010

@ Lolajim: votre critique est tout à fait audible, je dis juste que si on suit Martel, c'est la mort de la diversité culturelle, le triomphe de Koons et la mort de Ensor, Stendhal et des milliers d'autres qui ne touchent pas le public d'emblée voilà tout...

Écrit par : Castor Junior | 08/12/2010

Salut, j'ai bien aimé ton article. Si en plus tu voyais ce qu'ils y mettent dans le Coca ! Tu regarderai plus les films avec, lol !!

Écrit par : Le recette du Coca cola | 09/03/2011

Salut, j'ai bien aimé ton article. Si en plus tu voyais ce qu'ils y mettent dans le Coca ! Tu regarderai plus les films avec, lol !!

Écrit par : La recette du Coca cola | 09/03/2011

Achat de bijoux en or à Paris. Cours de l'or au kilo.

Écrit par : prix rachat or | 20/09/2011

Je lis ce livre en ce moment, et je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous!! Si tu t'étais informé sur l'auteur, tout ceux que tu trouve c'est que c'est un éllitiste et que justement dans ce livre, il met de côté son jugement. En gros, il fait un état des lieux de la culture dans le monde, il ne dit à aucun moment qu'il faut allait voir QUE les blockbuster, au contraire il donne des préconisations pour l'Europe.
Sinon merci beaucoup pour votre critique!

Écrit par : Lydie | 19/11/2011

Je suis très informé sur l'auteur, trop sans doute... Mais bonne lecture, c'est toujours mieux de lire Martel que plein de choses, mais je préfère encore un bon blockbuster...

Écrit par : Castor Junior | 19/11/2011

j’ai assisté le 22/11 à Rabat à la conférence de F M intitulée «  Face à l’américanisation de la culture :
Europe de la culture ... ». En fait, FM a fait la promotion de son dernier bouquin (un pavé de 500 pages qui
fait l’apologie de l’industrie culturelle US et de ses techniques), qui aurai été très bien reçue dans une école
de commerce et de management mais complètement déplacée et même provocatrice dans un institut
culturel....
en résumé, FM m’est apparu comme un prof pontifiant plus habile à jargoner le franglais qu’a dégager une
quelconque idée neuve . On a seulement compris que pour lui, la valeur d’une oeuvre culturelle, ou plus
justement d’un produit culturel, s’évalue uniquement en US dollars et que sa durée de vie est limitée à
quelques mois ... ( « un livre écrit i l y a 50 ans n’a plus d’intérêt aujourd’hui » dixit FM à propos de l’homme
unidimensionnel de H Marcus).

Écrit par : Coignet | 25/11/2011

J'ai pas tout compris. Mais ça avait l'air sympa.

Écrit par : http://www.seniorissimo.fr/ | 01/12/2011

Si vous rencontrez ou échangez avec FMartel sur Twitter @martelf vous verrez rapidement à quel point cette personne est sectaire et suffisante

Écrit par : Fabrici111 | 18/02/2012

@ Fabrici : étant convaincu par avance, j'éviterai de croiser le gommeux sur Twitter, mais merci pour le soutien !

Écrit par : Castor Junior | 18/02/2012

Bonjour,

Une critique légèrement enflammé, pour peu.
Mainstream traite de la culture de masse, un sujet incontournable des industries créatives. Il traite du sujet, d'une manière accessible à tous, et non élitiste.
À défaut d'imposer aux lecteurs une vision simpliste "les block-busters, c'est la vie" comme vous le notiez plus haut, F. Martel envisage une multitude de cultures de masse.

Effectivement, aucune référence n'est faite à nos chers auteurs classiques. À raison: ce n'est ici pas le sujet.
En revanche, références sont faites aux cultures cinématographiques et audiovisuelles Sud-Américaine, Asiatiques et du Maghreb/Orient/Proche-Orient.

Ne peut-on pas s'intéresser aux classiques, tout en découvrant ce qui, aujourd'hui, peut toucher des audiences diverses. Il faut comprendre ici, non seulement les "block-busters américains" mais aussi (et surtout), les telenovelas Brésiliennes, le cinéma Égyptien, la musique Africaine contemporaine (dont Paris et Londres semblent être les catalyseurs) ou "l'info-tainment" mis en place par le groupe Rotana, au moyen-Orient.

Balzac + Avatar = éclectisme.

Écrit par : Hélia | 04/03/2012

Merci Helia, je suis 100 % d'accord avec la conclusion et cela tombe bien, j'ai vu Avatar après avoir lu Balzac. Je n'ai rien contre les block busters, loin s'en faut. Il y a toujours un culture populaire et c'est heureux, mais je m'étonne que Martel aille plus chez Pixar que chez HBO, ces références cinématographiques et audiovisuelles comme théâtrales, sont faibladses et sociologiquement transparentes, si quelqu'un manque d'éclectisme, c'est bien lui...

Cela dit, depuis ce billet qui a tout de même 2 ans, je sais gré à Martel de faire le boulot de déconstruction du sarkozysme culturel. Voilà... M'enfin, c'est un technocrate hypocultivé et pour cela complexé qui vient grenouiller dans "l'industrie culturelle" et c'est bien triste...

Écrit par : Castor Junior | 04/03/2012

Certes, Mainstream se lit et s'oublie facilement. Je vous conseille plutôt de lire du même auteur "de la culture en Amérique", qui est passionnant.

Écrit par : gloubii | 23/06/2013

Merci Gloubii ! Suis complètement d'accord ; je l'ai lu et ai effectivement grandement apprécié cette enquête finement fouillée.

Écrit par : Castor Junior | 23/06/2013

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