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01/06/2011

Très belle cote, ce Beaune

Un-homme-louche.jpgJe cherchais un bon roman. Pas forcément un grand roman, ce qui nous déçoit trop souvent, mais simplement un bon roman. Où l'on rentre dedans avec envie et poursuit sa lecture avec avidité pour l'achever heureux et rassasié en même temps. 

Ca commençait à urger, même. Entre les essais que je dois lire pour le boulot, ceux qui m'intéressent et ceux qui aboutissent sans que je me l'explique sur ma table de nuit, j'ai l'impression que les romans représentent à peine la moitié des livres que je lis maintenant. Sans doute moins. Pas le droit à l'erreur et je venais de mordre avec une déception non feinte dans l'oeuvre de Sabato; le récemment défunt que le snobiquement correct de Libé imposait de lire. L'argentin écrit très bien, mais les oeuvres gigognes souvent, lassent. Du coup, au bout de 100 ou 200 pages, on s'ennuie, on a compris et pas envie d'aller de l'avant.

François Beaune, j'en avais entendu parler quand il était en grand format, chez Verticales. Mouaif. Sur le pitch, ça sentait le "coup" le truc de jeune premier (il est né en 1978) qui veut se faire remarquer en parlant d'un thème exigeant pour un romancier : la folie. Je reposais le livre sur la pile. Bêtement...

En réalité, le livre est un slalom permanent parmi les écueils: jamais de facilité type violence du fou, langage ordurier ou déambulation dans les rues un slip sur la tête. Non, Beaune campe un jeune en proie à des problèmes psychiques intenses à deux âges de sa vie : 14 ans et 38, quelques mois avant sa mort. Pas de suspense, on l'apprend dès l'incipit. On sent qu'il vit avec son personnage et qu'il n'a jamais dû quitter son carnet et griffonner des centaines de phrases en pensant que son héros pourrait les rédiger, puisqu'on lit son journal intime. Exemple: "Retour de boulangerie, mâchant, j'évalue une bouchée de pain. A cinq bouchées la tartine et six ou huit tartines la baguette. Mettons sept. Donc trente cinq bouchées de pain la baguette. Une baguette = 70 centimes. 70 divisé par 35 = le prix d'une bouchée de pain, c'est à dire 2 centimes. Il suffirait donc de vendre au détail seulement 10 centimes la bouchées de pain pour multiplier par cinq les bénéfices. Je garde ça pour plus tard". C'est à la fois insensé et pourtant, certaines entreprises aujourd'hui millionnaires se sont fondées sur ce business model (notamment les ventes d'immeuble à la découpe).

Les réflexions du protagoniste embrassent aussi l'observation des autres, "Je pense qu'un plombier ne connaît pas la paix. Pour un plombier la fuite est l'état normal. Alors, quand les plombiers veulent se poser cinq minutes et profiter de la vie, oublier toutes les fuites, ils éteignent leur portable et organisent un barbecue". D'une justesse bien supérieure à ce que tous les ministres du travail ont jamais inventé sur la pénibilité au travail...

On traverse le livre ainsi, sans s'en rendre compte, admiratif de la maîtrise de Beaune qui n'use jamais d'artifice ramenard, mais écrit et décrit juste. Et grand.

Alors, pardon de ramener ça à des considérations politiques, mais mon éducation m'y ramène toujours. Je lisais ce livre alors que le Parlement votait une loi vomie par quelques illuminés organisés autour de "la nuit sécuritaire". Loi qui proposait, grosse mode, de permettre à un directeur d'hôpital d'interner un malade psychique sans son consentement, alors qu'il fallait attendre une décharge du préfet auparavant. L'opposition à cette loi se fondait sur le "il est interdit d'interdire", mais à force de ne pas voir les risques, certains psychiatres ont contribué à dégrader l'image des fous. La France n'aime pas ses fous, et son Président en a peur.

Il veut tous les interner et les gaver de psychotropes car il voit en chacun d'eux un assassin en puissance. Du coup, les communicants ont sagement embrayé en produisant moult reportages où l'on voit des fous décompenser et agresser leurs proches. Soit...

Pourtant, les faits sont têtus et quiquonque s'est deux secondes penché sur la question qu'en réalité, il faut soigner les fous pour les protéger: les malades psychiques sont dix fois plus agressés qu'agresseurs. Forcément, entre leurs agissements étranges, le fait que les agresseurs savent que la parole des victimes ne sera pas pris au sérieux et l'imagerie collective qui autorise à se défouler sur la différence, ce sont bien les fous qu'il faut protéger. Il faut inverser nos représentations: imaginons donc Sisyphe heureux et les fous à protéger. Puisse Nicolas Sarkozy lire "Un homme louche" et cesser de s'acharner sur ceux qui après tout, n'ont pas des afflictions plus graves qu'un fétichisme pédestre, par exemple.

Demain, nous monterons le niveau puisque le calendrier nous y invite.

Commentaires

D'autant que c'est quoi un fou? Il y a des gens qui souffrent de schizophrénie, paranoïa, autisme, etc., et qu'il faut bien souvent protéger déjà contre eux-mêmes. Et puis il y a tous les autres, nous quoi, tous un peu louches avec nos petites névroses, nos obsessions, nos angoisses, nos comportements des fois un peu barrés… C'est sûrement moins grave que de se croire (ou se vouloir) «parfaitement normal», comme me disait quelqu'un récemment

Écrit par : Yola | 02/06/2011

Parfaitement normal ? Internez le !

Écrit par : Castor Junior | 02/06/2011

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